Les villes dans la pandémie
Dans Homo Sacer, le philosophe italien Agamben parle de la répression qui surgit lorsqu’un état d’exception est instauré. La vie des personnes se trouve réduite à un minimum biologique, comme dans les camps de concentration nazis. Mais cette réduction peut persister une fois les conditions exceptionnelles passées. Le sociologue Alain Touraine a montré, il y a déjà longtemps, comment la situation en temps de guerre avait légitimé la réglementation étatique de la vie des gens, et ce bien après la fin de la deuxième guerre mondiale. Les structures du pouvoir exploitent les crises, les utilisent pour légitimer un contrôle élargi.

La panique permet d’exploiter une crise. Dans les pays riches, rares sont les jeunes qui, de nos jours, connaissent la discipline militaire, qui n’a d’autre but que de faire en sorte que les soldats, sous le feu, gardent la maîtrise d’eux-mêmes ; paniquer sur le champ de bataille, c’est la mort garantie ou presque. Or les médias, ivres de panique, nous présentent ces extrêmes que sont la maladie et la mort comme un destin inévitable. Lorsqu’une bonne nouvelle surgit – la diminution de la maladie en Chine, par exemple – la place que lui consacrent les médias est bien moindre que celle accordée à, disons, la comparaison de la pandémie du Covid-19 à la peste noire du XIVe siècle. C’est absurde, mais la comparaison excite. C’est ainsi que le pouvoir des médias sert l’État dans son projet de normalisation. Je ne minimise pas du tout la pandémie actuelle, je dis simplement qu’il faut y répondre sans paniquer, et qu’elle constitue une « bonne occasion », à défaut d’une formule plus adéquate, d’exploitation.
Voilà la perspective à laquelle les villes sont confrontées aujourd’hui : les mesures prises pour contrôler les centres urbains survivront à la pandémie ; les règles qui, notamment, régissent l’espace public, dictent la distance sociale et dispersent les foules persisteront même après que nous ayons trouvé les moyens médicaux de vaincre la maladie