(Ré)écouter au temps du confinement

Les heures et la folie – à propos de Sarah Davachi, des Pale Saints et de Paul Bowles

journaliste

« Prends un sac, mets-y ce dont tu as envie, tes jouets préférés, nous partons dans l’heure ». Enfant dans un Liban en guerre, Joseph Ghosn a entendu plusieurs fois son père prononcer cette phrase. Ces dernières semaines, à l’inverse, il s’est demandé quelles œuvres garder avec soi, en temps de confinement. Des disques de Pale Saints à des essais de Paul Bowles, en passant par la musique expérimentale de Sarah Davachi. Expérience subjective et pourtant si universelle : des œuvres pour penser l’ici et l’ailleurs ; le chez-soi et la fuite ; le passé, le présent et l’avenir.

À l’invitation d’AOC, arrivée au début du confinement, et demandant de choisir une œuvre en résonance avec ce moment particulier, je pensais répondre vite et très clairement. Je pensais aussi trouver enfin le temps d’écrire sur ces sujets autour desquels je ne cesse d’accumuler objets, artefacts, écrits, notes, esquisses, mais qui m’échappent de plus en plus à cause du temps qui passe trop vite. Il n’en a pourtant rien été. En tout cas, pas dans le sens que je croyais.

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Je ne réalisais pas que de se retrouver au milieu de tout ce qui a été accumulé, choisi, édité, gardé, tout au long d’années d’écoute, de lecture et d’exercice de la pratique critique, serait en soi une épreuve. Et qu’avant de pouvoir choisir, il faudrait se comporter quasiment en archéologue, voire en spéléologue et en anthropologue aussi, d’une montagne qui s’était installée chez moi sans même que je le réalise.

Le temps, donc, était venu, avant même de choisir une seule œuvre, de regarder en face tout cela, se confronter à la bibliothèque, aux étagères, aux disques alignés, aux livres rangés selon un classement que je pensais à peu près clair quelque part dans mon esprit, mais qui ne l’était peut-être pas tant que cela.

J’avais face à moi les strates d’une trentaine d’années d’accumulations, débutées au plus clair de l’adolescence : un cumul d’objets et d’amours culturelles, de formation et d’affinage (au sens quasi culinaire du terme), des correspondances et des échos que se font les choses, et les affinités qui ont trouvé domicile chez vous. Celles aussi qui en sont parties et celles qui demeurent là, dans ce domicile qui n’est plus tout à fait le vôtre mais plutôt celui de ce qui s’y est installé pour longtemps – exactement comme on le dit d’un chat que vous adoptez : très vite, vous habitez chez lui, plutôt que le contraire. J’habite, pour le dire simplement, chez ma bibliothèque (et j’inclus dans ce terme à la fois livres et disques – j’ai arrêté d’accumuler les films il y a quelque


Joseph Ghosn

journaliste, directeur de la rédaction des Inrockuptibles

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