L’Allemagne en morceaux : unification et fractures territoriales
À l’occasion de chaque grand anniversaire commémoratif dont le prochain se profile à l’horizon dans quelques semaines, l’automne constitue tant en France qu’en Allemagne une fenêtre d’opportunité médiatique pour dresser de manière ritualisée le bilan de l’unification allemande. Ce moment commémoratif vise surtout à mettre en scène un acteur qui n’a jamais réellement existé en tant qu’entité collective : ce peuple de l’ex-RDA uni dans un triple sentiment de déclassement, de frustration et de colère[1] par rapport aux promesses faites en 1990 par le chancelier ouest-allemand Helmut Kohl : « Grâce à nos efforts communs, grâce à la politique d’une économie sociale de marché, le Brandebourg, le Mecklembourg, la Saxe-Anhalt, la Saxe et la Thuringe deviendront en l’espace de quelques années seulement des paysages florissants[2]. »
Le rituel commémoratif du bilan
Des reportages articulant images d’archives et témoignages d’Allemands de l’Est « ordinaires » construisent par couches successives un certain type de récit historico-mémoriel en deux actes : aux images iconiques de joie et de liesse collective exprimées lors de la chute du Mur et de l’unité allemande (comme si les deux événements étaient mécaniquement liés alors que le 3 octobre 1990 n’est absolument pas le résultat du 9 novembre 1989) se succèdent généralement celles des ruines post-industrielles, des violences xénophobes et antisémites, des manifestations de la droite extrême dans l’espace public comme à Dresde ou à Chemnitz. Des références chiffrées au coût de la rénovation des infrastructures de transport et des centres urbains ou au développement économique de certaines zones dynamiques autour des grandes métropoles comme Berlin, Leipzig ou Iéna viennent objectiver et corriger un discours médiatique largement dominé par l’image de victime associée à la figure du Ossi, ce perdant de la réunification qui a fait le choix de la liberté et du matérialisme au détriment d’une troisième voie entre capitali