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Accord sur le nucléaire iranien : qu’a-t-on à redouter ?

Sociologue

Dans son discours devant le Congrès américain, Emmanuel Macron a martelé qu’« on ne peut pas se débarrasser comme ça de l’accord sur le nucléaire iranien ». C’est pourtant le chemin que semble vouloir emprunter Donald Trump, malgré un semblant de suspens, au risque de voir Téhéran relancer son programme militaire. Le complexe jeu des sanctions se remet en route, et le pire est à redouter.

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L’administration Trump a posé la date du 12 mai 2018 comme ultimatum aux autres signataires européens de l’accord de Vienne de 2015 sur le nucléaire iranien, pour accepter de corriger ce texte, plus qu’imparfait aux yeux du président américain. Passée cette date, les États-Unis prépareront les conditions de leur retrait unilatéral de l’accord puis réimposeront toutes les sanctions qui avaient été levées (mais neutralisées, nous y reviendrons) depuis la mise en application du plan d’action conjoint. L’accord survivra-t-il ? Qu’a-t-on à redouter si tel n’est pas le cas ? Le président français, Emmanuel Macron, a fait de cet accord un point-clé de sa rencontre avec Donald Trump, du lundi 22 au mercredi 25 avril : l’accord garantit la paix et s’en retirer décrédibiliserait les États-Unis aux yeux de la communauté internationale. Pour convaincre les Américains de rester dans le plan d’action conjoint, une lettre a d’ailleurs été signée par 500 parlementaires français, britanniques et allemands. Cet accord est avant tout un moyen d’éviter une guerre.

Le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (le TNP), conclu en 1968, a pour but d’empêcher les signataires n’étant pas des puissances nucléaires d’accéder à ce statut, et les puissances nucléaires signataires de développer leur arsenal. L’AIEA – Agence Internationale de l’Énergie Atomique – garantit l’application de ce traité par le contrôle du développement des industries nucléaires à travers le monde. L’Iran est signataire de ce traité (et l’a ratifié en 1970). Depuis la signature de l’accord de 2015, tous les rapports de l’AIEA concernant le développement nucléaire civil iranien montrent bien le respect de sa contrepartie par Téhéran. La bonne conduite de l’Iran à l’égard de ce traité aura d’ailleurs fait basculer les sénateurs américains les plus réfractaires à l’accord en sa faveur. Tel était le fondement le plus répandu de l’opposition à l’accord : une supposée incapacité de l’Iran à respecter sa contrepartie pour poursuivre un programme de nucléarisation militaire clandestin repris aux alentours de 2006. Les défenseurs d’un discours néo-conservateur dur n’ont plus d’autre argument sur le nucléaire stricto sensu (donc en dehors de la question du développement du programme de missile balistique) que de remettre en question la compétence de l’AIEA.

Emmanuel Macron et Donald Trump disent s’accorder sur la perspective d’aboutir à un nouvel accord, à savoir un texte dont l’Accord de Vienne sur le Nucléaire Iranien ne serait que l’un des quatre piliers.

La France peut tenir un rôle de premier ordre dans la protection de cet accord. D’abord parce qu’elle est un pilier historique des négociations autour du nucléaire iranien, ensuite parce qu’elle a le plus veillé à ce que le texte soit strict à l’égard de l’Iran et donc fiable, enfin parce qu’Emmanuel Macron représente non seulement les intérêts de la France mais aussi ceux de l’Europe.

En ce mercredi 25 avril, Emmanuel Macron et Donald Trump disent s’accorder sur la perspective d’aboutir à un nouvel accord, à savoir un texte dont l’Accord de Vienne sur le Nucléaire Iranien (JCPOA) ne serait que l’un des quatre piliers. La France semble s’aligner sur une pression américaine coextensive à l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. Si ce dernier avait, pendant la campagne présidentielle qui l’opposait à Hillary Clinton, promis de déchirer les accords signés sous son prédécesseur, c’est la volonté de corriger le « bad deal » qui a rapidement prédominé dans le discours de Trump. Les deux chefs d’Etat s’accorderaient sur un texte à quatre volets : 1. L’encadrement du développement du programme de missiles balistiques iranien, 2. La limitation du programme nucléaire civil iranien après 25 ans, 3. Le retrait des forces iraniennes de Syrie (pour empêcher tout accès de l’Iran à la Méditerranée), 4. Le JCPOA.

En d’autres termes, le nouveau texte – le JCPOA plus trois protocoles additionnels –  permettrait de ne plus avoir besoin de recourir à des expédients pour neutraliser la levée progressive des sanctions, et ainsi maintenir l’Iran dans un statut quo. En effet, depuis la signature de l’accord et devant les rapports de l’AIEA rendant compte de l’attitude irréprochable de l’Iran dans le respect de sa contrepartie, les États-Unis levaient des sanctions d’une main, pour en imposer de l’autre. De nouvelles sanctions relatives à des points qui ne sont pas subjugués à l’accord sur le nucléaire, à savoir la triade : non-respect des droits de l’homme, aides à des groupes figurant sur la listes des organisations terroristes, développement du programme de missile balistique.

La France a intérêt à ce que l’accord soit défendu en l’état, évidemment pour la préservation de la paix, mais aussi pour pouvoir s’élancer dans la course au prometteur marché iranien.

L’Iran n’a jamais vraiment pu ressentir les retombées de l’accord, des sanctions lui étant toujours imposées. « Pourquoi l’Iran doit-il rester dans un accord qui ne lui apporte rien ? » s’est interrogé le vice-ministre iranien des affaires étrangères, Abbas Araghchi, dans un entretien pour le journal norvégien Aftenposten. La France a pourtant intérêt à ce que l’accord soit défendu en l’état, évidemment pour la préservation de la paix – si l’on part du principe que la paix est toujours une visée politique nécessaire –, mais aussi tout simplement pour pouvoir s’élancer dans la course au prometteur marché iranien à laquelle les Européens s’étaient préparés, rêveurs, au lendemain de la signature de l’accord.

De son côté, Téhéran n’a jamais fait mystère de sa position quant à la perspective de voir le texte modifié : aucun décisionnaire iranien n’a jamais envisagé l’idée d’accepter une rectification. Le traité est déjà restrictif et a même obtenu l’assentiment des experts militaires et nucléaires israéliens, aller plus loin deviendrait synonyme, pour Téhéran, d’ingérence ou d’atteinte portée à la souveraineté du pays. La menace plane déjà de sortie du traité de non-prolifération. Dans un très récent entretien pour The National interest, l’un des architectes du JCPOA, Mohammad Javad Zarif, ministre iranien des affaires étrangères, dénonce le fait que « l’Amérique viole déjà l’accord sur le nucléaire ». « Si les États-Unis se retirent officiellement du plan d’action conjoint, la conséquence la plus immédiate consistera à l’émancipation de l’Iran de toute obligation de rester dans les cadres de l’accord. »

Comme l’annonce Mohammad Zarif sur Twitter, « il n’y a pas de plan B » : le retrait américain aura pour conséquence directe la sortie de l’Iran du JCPOA, et donc à terme du traité de non-prolifération, ce qui implique que l’industrie nucléaire du pays ne sera plus soumise aux observations de l’AIEA. La possible reprise d’un programme de nucléarisation militaire sera hors du contrôle international.

Le grand danger, a priori, consisterait donc en un retour à une politique iranienne d’armement atomique (l’amiral Shamkhani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien, a clairement évoqué cette idée) mais aussi en une vraie course régionale à l’armement. Si la perspective d’un Iran en puissance nucléaire devenait plausible, la Turquie, l’Arabie saoudite et l’Égypte revendiqueraient automatiquement leur droit à accéder à l’arme atomique. Une des positions iraniennes dominantes consiste à se dire entouré de puissances nucléaires – l’Inde, le Pakistan et Israël – autant de pays qui ne sont pas signataires du TNP, ne doivent répondre à aucune obligation et ne subissent aucun contrôle. Si la sortie de l’accord engageait effectivement les Iraniens sur la voie de la nucléarisation militaire, nombre d’experts avancent qu’il faudra entre 6 et 18 mois au pays pour se doter de l’arme atomique. Dans ces conditions, il paraît évident que l’Égypte, la monarchie saoudienne et la Turquie opteraient pour une ligne de revendication à la nucléarisation militaire. De cette course, on pourrait aussi supposer le pire en terme de sécurité, avec la tentation israélienne et/ou américaine d’entrer dans un conflit militaire direct avec toutes les conséquences chaotiques que cela impliqueraient dans la région.

Les États-Unis, à travers l’Iran, visent aussi ses grands concurrents commerciaux.

Par ailleurs, la très sérieuse perspective de la sortie américaine de l’accord aura aussi pour conséquence immédiate un rétablissement des sanctions, et donc une déclaration de guerre économique à la Russie et à la Chine. N’oublions pas que, pour le moment, l’accord profite essentiellement à ces deux derniers pays… et d’ailleurs que Washington a récemment lancé une offensive économique contre les Chinois, et n’a de cesse, depuis longtemps, de multiplier les sanctions contre la Russie. De gros contrats, notamment énergétiques ou d’infrastructures sont signés entre les Chinois, les Russes et l’Iran. Une sortie de l’accord aurait pour conséquence de saboter les projets de ces pays.

Par ailleurs, l’Europe serait elle aussi lésée : beaucoup plus fragile que la Russie ou la Chine dans sa confrontation économique (mais aussi industrielle) avec les États-Unis. On peut citer l’exemple de la BNP condamnée par les États-Unis à payer une amende record de près de 9 milliards de dollars, pour avoir contourné entre 2000 et 2010 les embargos imposés à l’Iran (mais aussi au Soudan, à la Lybie et à Cuba). Pensons aussi à Total qui essaie d’obtenir une dérogation pour pouvoir s’implanter en Iran sans avoir à subir le coup des sanctions. L’Eldorado iranien où les Européens rêvaient de diversifier les projets d’investissement (secteur pharmaceutique, construction automobile, construction d’hôtels, aviation, marché du luxe, etc.) s’évanouirait définitivement avec la perspective de la sortie américaine du plan d’action conjoint. En d’autres termes, les États-Unis, à travers l’Iran, visent aussi ses grands concurrents commerciaux.

La question de l’extraterritorialité des sanctions américaines est ainsi centrale dans la prise de mesures coercitives pour empêcher un retour franc de l’Iran sur la scène des échanges internationaux. Quelles seraient les raisons d’une volonté américaine affichée de revenir de façon décomplexée au discours néo-conservateur dans sa ligne la plus dure, celle qui diabolise l’Iran et en vise tant sa marginalisation que son affaiblissement ?

Les marques de ce retour en arrière sont bien visibles : le premier voyage officiel de Trump à l’étranger s’est déroulé à Riyad (Arabie Saoudite) le jour des élections présidentielles iraniennes du 19 mai 2017 ; le Secrétaire d’État Rex Tillerson a été remplacé par le très conservateur Mike Pompeo et le non moins conservateur John Bolton a pris la place de Mike Flynn comme conseiller à la sécurité nationale. L’Iran se trouve ainsi face à un establishment néo-conservateur reconstitué. Si l’on ajoute à cela les sanctions américaines prises en août dernier contre l’Iran, suite à des tirs de missiles sur Deir ez-Zor en Syrie – qui étaient pourtant la réponse de Téhéran au double attentat de Daech sur la capitale iranienne en juin 2017 – les Iraniens ont véritablement le sentiment que l’administration Trump veut les affaiblir pour les affaiblir.

L’Iran est un pays qui a réussi à capitaliser les erreurs de ses adversaires.

L’intuition dominante en Iran, c’est que la redéfinition de l’accord sur le nucléaire vise en fait à encadrer la politique d’influence régionale de l’Iran, jugée impérialiste (l’Iran est effectivement présent au Yémen, en Syrie, au Liban, dans les territoires palestiniens, en Irak, etc.). Une intuition qui semble confirmée aujourd’hui, à l’issue de la rencontre entre Emmanuel Macron et Donald Trump puisque l’un des quatre volets du texte évoqué par les deux présidents exige le retrait du corps de gardiens de la révolution du territoire syrien (alors que les forces iraniennes y ont été invitées par un Etat souverain : la Syrie). Cette exigence vise expressément à empêcher la République islamique d’avoir accès à la Méditerranée

Actuellement, la République islamique d’Iran est dans une situation paradoxale : le pays a montré qu’il était capable de lever des troupes en Syrie, en Irak, au Liban, en Afghanistan, au Pakistan pour créer des milices supplétives efficaces en Irak et en Syrie. Téhéran a aussi montré sa capacité à se défendre dans le cadre d’une réaction proportionnelle aux attaques de Daech sur son territoire, par une salve de missiles balistiques ayant atteint un niveau de précision technologique de pointe. L’Iran est un pays qui a réussi à capitaliser les erreurs de ses adversaires ; à maintenir l’allié syrien Bashar al Assad au pouvoir contre tous ; à ramener à Turquie à adopter la même ligne de conduite politique sur de nombreuses questions régionales ; à approfondir ses relations avec le Qatar sur le fond de crise qui oppose la petite monarchie wahhabite au géant saoudien, alors qu’au départ, Téhéran et Doha s’affrontaient militairement par milices interposées dans le cadre du conflit syrien… En ce qui concerne les Houthis au Yémen, l’Iran arrive, en consacrant peu de moyens, à contenir les saoudiens, Daech a été vaincu en Irak, pays que l’Iran considère comme son arrière-cour sécuritaire, et encore, la République islamique parvient à se réconcilier avec le Hamas dans une Palestine en pleine crise.

Pourtant, là se trouve tout le paradoxe : le pouvoir est contesté en Iran. Le mouvement contestataire qui a débuté en décembre 2017 pour s’essouffler fin janvier 2018, sans jamais réellement s’éteindre, en est l’expression la plus visible. On manifeste encore contre la confiscation de l’économie du pays par le pouvoir et on a récemment encore entendu le slogan « doshmane ma injast », dans les mosquée, « notre ennemi est ici ». On proteste contre une dévaluation vertigineuse de la devise nationale que les autorités tentent de contenir, on revendique des libertés individuelles et mesures sociétale. Seulement, ce mouvement garde aussi toujours en tête que ce sont d’abord les États-Unis les responsables de la suffocation économique du pays. Le nouvel accord évoqué par Donald Trump et Emmanuel Macron n’est pas de nature à rassurer ceux qui pensent que le but premier est de déstabiliser la République islamique de l’intérieur, par l’asphyxie.

 


Amélie Myriam Chélly

Sociologue, Chercheuse associée au CADIS (EHESS-CNRS), Professeur de géopolitique à Dauphine (IPJ)

Mots-clés

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