Le ventre du nihilisme – à propos de Familie de Milo Rau
La Grande Bouffe, 1973. Michel, Philippe, Marcello et Ugo – quatre bourgeois décadents – se cloîtrent dans une villa du 16e arrondissement pour se suicider ensemble. Le remède est dans le mal : excessifs en tous points, ils se détruisent dans l’excès, en mangeant jusqu’à ce que mort s’ensuive. Leur suicide est à l’image de leur vie : absurdement faste. Avec eux, une génération que la bouffe, consommable par excellence, engloutit symboliquement : les bourgeois consomment jusqu’à se faire exploser.
Rien de mieux que de se gaver quand on est dégoûté de la vie. À Cannes, le film, qui fait dans l’excès pour parler de l’excès (avait-il d’autre choix ?), est hué par la critique et une partie du jury. Peut-être parce que pour une fois, le mépris de la grande bourgeoisie est exprimé physiologiquement : ça rote, chie, vomit… Piccoli meurt en pétant : le dégoût est intestinal.
À la même époque, une autre bourgeoisie finit de surfer sur les Trente Glorieuses : mêmes comportements sans le même capital, elle imite son habitus. C’est la classe moyenne : traditionnelle mais libérale, éduquée sans être érudite, confort de vie suffisant mais pas luxueux, parfois des anciens campagnards qui apprivoisent la banlieue. Elle mène une vie moins débridée et consomme plus discrètement que ses congénères : d’une certaine manière, c’est la nouvelle petite bourgeoisie. La famille Demeester en fait partie : comme beaucoup d’autres, elle s’installe en ville dans les années 1960-1970 avec le déclin du monde paysan. La classe moyenne a le vent en poupe, son niveau de vie augmente : idéal pour fonder une famille pérenne.
Presque quarante ans après pourtant, le désir de suicide semble s’être répandu chez ces tranquilles petits bourgeois, dont le mode de vie arrive, à son tour, à saturation. Pour exemple, l’affaire de ladite famille, en 2007 – deux parents et deux enfants retrouvés pendus dans leur maison, avec pour seul indice, une note particulièrement concise : « On a trop déconné, pard