Littérature

Faire taire le silence – sur Chienne de Marie-Pier Lafontaine

Sociologue du théâtre

Ni autofiction, ni autobiographie, Chienne de Marie-Pier Lafontaine est un roman. Un roman aux frontières de la fiction et du réel, qui dit l’inter-dit, fait taire le silence, et répond à cette épineuse question, tant littéraire que politique : comment écrire l’inceste contre l’inceste ? Une démarche qui permet au récit de ne pas être cantonné au fait divers et d’accéder à la littérature. Ou quand le geste d’écriture, en lui-même, fait réparation.

Chienne, de Marie-Pier Lafontaine, est un roman. C’est en tout cas ce qui est écrit sur la couverture du livre paru en septembre 2020 en France aux éditions Le Nouvel Attila, juste en dessous du titre.

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Pourtant, de nombreux signes paratextuels viennent détromper le lecteur, en tout cas flouter, troubler la frontière de la fiction juste après qu’elle a été posée, comme pour l’inviter à ressortir, à rester sur le seuil en tout cas. Le livre est entouré d’un bandeau, dont le recto annonce la couleur en sepia : le portrait en verre d’une petite poupée, brisé. Le verso, lui, résume l’histoire et la présente comme une fiction, ou presque :
« Deux sœurs sont soumises durant leur enfance et leur adolescence à toutes les humiliations. Tenues en laisse, obligées de marcher à quatre pattes, empêchées d’uriner, frappées. La mère est le témoin muet de ces agressions répétées qui provoquent au père un plaisir sadique renouvelé. Viol suspendu, inceste latent, jamais consommé. Un style lapidaire pour dire l’innommable et la monotonie de l’horreur. Chienne est, racontée à la première personne, l’histoire d’une jeune fille démolie qui s’appuie sur les pouvoirs de la littérature pour retrouver un corps et une parole. Et quand elle mord, ça fait mal. »

La dimension littéraire de la démarche est attestée par un autre élément du bandeau, plus discret : le parcours de l’autrice dont l’enfance est alors évoquée uniquement comme berceau d’une vocation d’écrivaine (« toute son enfance elle écrit des nouvelles ») qui la conduit à « des études de création littéraire ». Avec cette précision toutefois, qui vient recoller l’image de l’autrice et celle du personnage : « aujourd’hui elle boxe, et pas seulement dans l’écriture ». En dessous, quand on ose ôter le bandeau, courant de la quatrième à la première de couverture, écrits à la perpendiculaire et à l’envers, en très gros caractères rouges, ces mots :
« Je dissimulais mes désirs dans des textes de fiction, enfant. Deux sœurs en fugu


[1] Marie-Pier Lafontaine, Chienne, Le Nouvel Attila, 2020, p. 11.

[2] Serge Doubrovsky, Fils, Galilée, 1977, quatrième de couverture.

[3] Christine Angot, L’inceste, Stock, 1999, p. 116 ; p. 68-69 ; p.116.

[4] Dorothée Dussy, Le berceau des dominations. Anthropologie de l’inceste, La Discussion, 2013, p. 255-256.

[5] Marie-Pier Lafontaine, Chienne, p. 102 ; p. 103 ; p. 66-67 ; p. 18 ; p. 40-41 ; p. 59 ; p. 83 ; p. 52.

[6] Cette troisième et dernière étape du processus psychologique de réparation répertorié par les associations de victimes de violences sexuelles me paraissant difficilement traduisible, je conserve l’anglais.

Bérénice Hamidi

Sociologue du théâtre, professeure en études théâtrales à l'Université Lyon 2 et membre de l'Institut Universitaire de France

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Notes

[1] Marie-Pier Lafontaine, Chienne, Le Nouvel Attila, 2020, p. 11.

[2] Serge Doubrovsky, Fils, Galilée, 1977, quatrième de couverture.

[3] Christine Angot, L’inceste, Stock, 1999, p. 116 ; p. 68-69 ; p.116.

[4] Dorothée Dussy, Le berceau des dominations. Anthropologie de l’inceste, La Discussion, 2013, p. 255-256.

[5] Marie-Pier Lafontaine, Chienne, p. 102 ; p. 103 ; p. 66-67 ; p. 18 ; p. 40-41 ; p. 59 ; p. 83 ; p. 52.

[6] Cette troisième et dernière étape du processus psychologique de réparation répertorié par les associations de victimes de violences sexuelles me paraissant difficilement traduisible, je conserve l’anglais.