Juges, l’insaisissable cœur de métier
Recentrer le juge sur son « cœur de métier », le propos est éculé : il traverse les projets successifs de réforme de la justice, comme une soif jamais apaisée. La lettre de mission donnée en 2007 par Rachida Dati, alors ministre de la Justice, à la commission Guinchard, invitée à « recentrer l’action du juge sur ce qui doit être réglé par l’application des règles de droit », fait écho au rapport sur le juge du XXIe siècle, commandé par Christiane Taubira et, dans une moindre mesure, à la réforme qui s’en suivit, pour aujourd’hui être recyclé dans les discours entourant les chantiers de la justice. Dans un courrier adressé fin mars 2018 à l’ensemble des personnels du ministère, la Garde des Sceaux Nicole Belloubet revendique ainsi un principe d’action : « recentrer chacun des acteurs de la justice sur son cœur de métier », qui se décline dans chacun des rapports élaborés à la hâte à la fin de l’année 2017, de la procédure pénale à la procédure civile en passant par le numérique et l’organisation judiciaire.
Mais quel est donc ce cœur de métier et, s’il faut rogner sur les marges de l’intervention judiciaire, quelles sont ces marges et pourquoi devraient-elles aujourd’hui être traitées ailleurs, privatisées au civil, abandonnées à la police au pénal ? Quels choix politiques sous-tendent ce discours, présenté comme le pur produit pragmatique – ce sont les mots de la ministre de la Justice – d’une contrainte budgétaire inéluctable ? Que dit-il de la conception du service public de la Justice, du rôle de l’autorité judiciaire et du rapport de ce pouvoir aux libertés et à l’égalité, au rétablissement des équilibres sociaux et à la protection ?
La logique gestionnaire dicte des abandons de contentieux ou des procédures dégradées dans lesquelles le contrôle juridictionnel s’évanouit.
L’obsession du cœur de métier emprunte deux ressorts argumentatifs. Le premier repose sur l’affirmation d’une nécessité vitale de se séparer du superflu, trop encombrant. Il procède