Une malencontre – sur Le Fumoir de Marius Jauffret
On peut aborder ce livre comme la relation, brute de décoffrage ou presque, d’une dangereuse plongée dans le monde psychiatrique. C’est en tout cas sur ce mode qu’est passé, dès la quatrième de couverture, le pacte de lecture : Marius Jauffret, auteur, est clairement désigné comme étant le narrateur d’une expérience traumatique d’internement dont il espère, après sa sortie de l’hôpital, pouvoir écrire le récit.
Sous cet angle, l’ouvrage apparaît comme un moyen de rétablissement, et l’on se prend à espérer qu’il a rempli son office, tant la force, les fragilités et l’humour de son auteur-narrateur nous séduisent.
Mais on peut aussi lire Le Fumoir comme un roman, miroir efficacement transporté d’une terrasse de café parisien aux couloirs d’un hôpital psychiatrique, et cette lecture nous en dit plus encore sur notre société que la précédente. En effet, si l’on s’en tient trop à sa dimension de récit, on constate vite que l’émotion l’emporte sur la rigueur du témoignage tant les erreurs factuelles et les biais de compréhension pourraient altérer la crédibilité de l’ensemble.
Mieux vaut se laisser porter par l’élégance du style et la puissance d’évocation, qui lui donnent le relief d’une œuvre littéraire convaincante. Pour un lecteur qui ne connaît pas les arcanes de l’univers psychiatrique, c’est d’abord cette qualité qui saute aux yeux.
Marius Jauffret a le talent de plonger son lecteur dans un bain sensoriel étonnamment réaliste.
Âgé de vingt-cinq ans, l’auteur/narrateur dissipe sa jeunesse dans une oisiveté dépressive et très arrosée. Le soir d’une cuite particulièrement sévère, il fait un malaise place des Vosges. Son frère, qui vit dans les parages et surgit providentiellement auprès de lui, décide de l’emmener aux urgences de Sainte-Anne. Là, se monte une mauvaise mayonnaise digne d’un film noir : au lieu d’une nuit de dégrisement sous surveillance médicale, c’est une hospitalisation sous contrainte qui est instaurée. La raison qui en est donnée est f