Culture

La directive sur le droit d’auteur et le scopone scientifico

Musicien, producteur

Dans L’Argent de la vieille, film réalisé par Comencini, une milliardaire américaine défie de pauvres romains au scopone scientifico, un jeu de cartes dont les règles profitent aux plus fortunés. C’est une partie fort semblable que jouent actuellement les manants de la culture et les châtelains des algorithmes. Si la récente directive européenne sur le droit d’auteur prend à bras le corps ce problème, sa transposition en droit français et sa prochaine application contiennent en réalité autant de promesses que de risques.

Dans LArgent de la vieille de Comencini, une milliardaire américaine, jouée par Bette Davis, défie aux cartes Silvana Mangano, Alberto Sordi et la population du bidonville de Rome en contrebas de sa demeure. Leurs tentatives pour sortir vainqueurs du jeu, le scopone scientifico, dont les règles profitent aux plus fortunés, évoquent la partie qui se joue actuellement entre manants de la culture et châtelains des algorithmes.

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La directive européenne du 15 avril 2019 sur le droit d’auteur valide le principe d’une meilleure rémunération des producteurs, des auteurs et des artistes, à partir du trafic généré par leurs contenus sur les plateformes-vidéo. Elle était nécessaire : à titre d’exemple, YouTube représente à lui seul 50 % de l’écoute de la musique en ligne et seulement 4 % des revenus et droits générés par ladite écoute. Il était temps que cet écart de valeur soit comblé, et que les firmes qui s’abritent derrière un statut d’hébergeur pour se soustraire à leurs obligations rentrent dans le droit commun.

Ce texte est donc assorti de dispositions visant à protéger les créateurs pour permettre une plus juste rémunération des catalogues et des œuvres, ainsi qu’une meilleure diffusion. Nous avons en effet tous pu nous rendre sur une de ces plateformes pour entendre le repiquage de titres introuvables ou des films invisibles en DVD ou en streaming. À la veille de la transposition de cette directive, les revenus de l’écoute en ligne, s’ils paraissent de plus en plus conséquents lorsqu’ils sont cumulés, demeurent extrêmement faibles à l’échelle des producteurs, des auteurs et des artistes.

Mais si la directive prend à bras le corps le modèle de rémunération des plateformes, elle vient aussi revisiter les relations entre ayants-droit, avec des intentions louables qui peuvent, si elles sont mal transposées en droit français, avoir l’effet inverse : renforcer la musique sans musiciens, subvertir le principe même de la production, rendre encore plus difficile l’


Bertrand Burgalat

Musicien, producteur