Littérature

Philip Roth vit !

Critique littéraire et écrivain

Philip Roth est Portnoy. À jamais âgé de trente-trois ans, comme le Christ, ce névrosé new-yorkais aura-t-il un avenir au troisième millénium ? Survivra-t-il au décès de son créateur ?

Moi, j’ai perdu un père. Que j’ai à peine connu. Deux brèves rencontres, dont la première date de 2008, peu avant ma soutenance de thèse à Paris VII. Accompagné par mon fils de dix ans, on descendait Madison Avenue en direction de l’hôtel pour récupérer nos valises et partir à l’aéroport JFK. Lui empruntait le trottoir en face, au sens inverse. Il portait des sacs en plastique et il boîtait.

Publicité

Des instants comme ça arrivent rarement dans la vie : il faut les saisir. La plupart des New-Yorkais ne l’auraient pas reconnu, faute de scruter le moindre article consacré à l’auteur de Portnoy. C’est vrai, même en 2008, lorsqu’on songeait à Roth, on ne l’imaginait pas si pâle et fragile, faisant ses propres courses, ramenant de petits trucs à manger un samedi soir devant la télé, après être descendu chez le Coréen (l’équivalent à l’époque de l’épicerie arabe à Paris).

« Give me your hand », ai-je hurlé à mon enfant, sans explication, saisissant sa petite main grassouillette dans la mienne, traversant l’avenue à toute allure, évitant les voitures, me dirigeant tout droit vers la longue silhouette ambulante. Comment ignorer la ressemblance entre mon comportement et celle de ses personnages secondaires, ces ratés flagorneurs dont le héros essaie de se débarrasser ?

« I know you don’t like this, l’ai-je apostrophé, en arrivant à son niveau. Mais c’est plus fort que moi, je vous ai consacré dix ans de ma vie, dans quelques mois je vais soutenir ma thèse de doctorat, à Paris.
— Oh, vous vivez à Paris ! Pourquoi ?
— Ça a toujours été mon rêve.
— C’est bien de le réaliser. »

Je lui ai présenté mon fils, qui regardait bouche bée l’idole de son père.

Il n’y avait pas grande chose à se dire. Mon travail universitaire – intitulé Figures du vide et du plein dans l’œuvre de Philip Roth – portait sur ses écrits, et non pas sur cette masse de chair et os, haut d’un mètre quatre-vingts, habillé dans le style de la Nouvelle Angleterre, conforme aux images publiques. Je n’allais pas l


Steven Sampson

Critique littéraire et écrivain

Rayonnages

HommageLittérature