À quoi sert le concept de race ?
De nombreux chercheurs pensent souhaitable de recourir au concept de race [1] en tant qu’outil stratégique permettant la dénonciation et la réparation des inégalités. Ils défendent une conception oscillant entre le social et le biologique, laquelle accorde une grande importance aux nouvelles données de la génétique. Nous voudrions ici analyser les raisons et les implications de ce « retour » à des thématiques que l’on pouvait croire, depuis le milieu du XXe siècle, totalement décrédibilisées. Dans un second temps, nous montrerons que l’inexistence biologique des races ne conduit pas à nier leur réalité socio-politique.
Retour de la race ?
En réalité, il n’y a jamais vraiment eu abandon de la notion de race en tant que telle en biologie et en médecine. La véritable question est de savoir si elle a connu, en privilégiant, dans les années 1970-1980, une approche populationnelle, une transformation substantielle. Penchons-nous un instant sur le monumental (795 pages) Traité du vivant (1982) d’un des principaux théoriciens français de la génétique des populations, Jacques Ruffié. Le chapitre XIV, intitulé « Espèces, races et populations », est significatif d’une réelle difficulté à s’affranchir du vocabulaire de la race. Tout en affirmant que les « races sont des artefacts biologiques » (p. 395) et donc « la valeur très relative de ce concept » (p. 396), il ajoute : « Une race est formée par des populations qui présentent entre elles des échanges géniques plus massifs qu’avec les populations des autres groupes raciaux (je souligne) » (p. 396). Un peu plus bas, il évoque « l’avenir d’une race » : tout en concédant qu’il est celui des populations qui la composent, et en faisant de la race « une phase biologiquement instable » (p. 397), il n’hésite pas à envisager qu’elle puisse évoluer vers la spéciation (ou, au contraire, se refondre dans la masse de l’espèce). On voit bien que, même si le concept de race est « imprécis et de faible utilité », Ruffié n’y re