Veuillez couper votre caméra
Intérieur jour, salle de bains, la caméra avance vers une femme de dos, peignoir de soie, longue chevelure onduleuse vaguement retenue par une pince sur le dessus de la tête. Son visage apparaît dans le miroir, elle est odieusement belle, une beauté si fausse que l’on est tenté d’y croire. Elle a les traits réguliers, un air racé et dans la bouche une brosse à dents qu’elle actionne rapidement. Les joues de l’actrice sont déformées par la présence de l’objet. Face à son reflet, ses yeux demeurent fixes.
C’est parce qu’elle s’observe d’un même regard immobile en frottant l’émail de ses dents qu’elle repense à la scène d’ouverture de la série qu’ils ont visionnée ce soir. Elle a l’impression d’avoir déjà vu des scènes similaires dans des films ou des séries, d’un personnage en train de se brosser les dents, soudainement plongé en lui-même – l’introspection au miroir soit, mais l’hygiène buccale, de quoi serait-elle le nom ?
En même temps qu’elle s’interroge, elle convoque d’autres images de scènes de brossage de dents – celle de la même actrice dans un autre film, ce moment où un homme entre dans le cadre, on voit sa silhouette prendre de plus en plus d’espace dans le miroir, il enlace la femme et leurs deux visages sont côte à côte, impassibles, seule la brosse à dents continue ses à-coups et ce couple va avoir des ennuis ne peut-on s’empêcher d’anticiper, celle du caïd torse nu qui enchaîne les mouvements rageurs dont on se doute qu’ils préfigurent un déferlement de violence dans la suite du film, et d’autres, plus floues dont il faudrait préciser les références, plutôt contemporaines remarque-t-elle car, quand elle puise un peu plus loin dans sa frise chronologique mentale, ce sont des plans de femmes installées à une coiffeuse qui lui viennent, des femmes qui se brossent les cheveux et non les dents tandis que leur cow-boy patiente assis sur le lit derrière –, elle envisage de suggérer à F., écrivaine-plasticienne-cinéphile dont un récent ouvrage réunit des textes