Politique

Le Pen, les sondages et la présidentielle

Maître de conférences en science politique, Conseiller statistique

Le débat à propos de la présidentielle de 2022 est actuellement verrouillé par une avalanche de sondages prophétisant une élection cadenassée par les très bons scores de Marine Le Pen. Il est certes probable que la candidate du RN se situe aujourd’hui à des niveaux d’intention de vote élevés. Mais cette lecture emphatique de la réalité du FN/RN, constante du traitement médiatique du parti, masque l’ensemble des opérations de mesure qui donnent toutes les raisons de rester circonspect à l’égard des résultats publiés. La croyance dans la capacité véridictoire des sondages a atteint un tel niveau que l’on confond désormais le plus souvent réalité mesurée par les instituts et réalité politique.

Et c’est reparti pour un tour. À un an de l’échéance présidentielle de 2022, les médias bruissent déjà de résultats de sondages annonçant Marine Le Pen première au premier tour avec 25 à 28 % d’intentions de vote (selon les hypothèses de candidature testées), et au « coude-à-coude » avec Emmanuel Macron au second (44 % à 47 % au second tour contre 56 % à 53 %) [1]. Ainsi, comme avant chaque scrutin, la machine à spéculer sur les scores du Front National/Rassemblement National ou de ses candidats s’est remise en marche, générant, comme à chaque fois, un inévitable buzz. On peut cependant douter de la valeur de ces estimations, pour au moins trois raisons.

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La première, la plus évidente, réside dans le caractère virtuel du rapport de forces qu’enregistrent les enquêtes qui sont réalisées actuellement. Virtuel car on demande aux personnes interrogées de se prononcer sur une élection qui aura lieu dans douze mois (et non « dimanche prochain », comme formulé dans la question qui leur est posée), et alors qu’interviendront entre temps les élections régionales [2]. Virtuel car la plupart des candidats testés dans les enquêtes ne sont même pas encore déclarés. Virtuel car à ce stade, les répondants sont encore en grande majorité indécis, qu’il s’agisse de leur éventuelle participation à l’élection ou de leur choix politique. On ne peut même pas dire que le sondage offre ici une « photographie de l’opinion », comme aiment à le répéter certains commentateurs, puisque cette opinion est en l’occurrence purement et simplement fabriquée : elle est artefactuelle.

La deuxième tient à la fragilité du caractère représentatif des échantillons sondagiers. Au niveau sociodémographique, les échantillons « bruts » recueillis à l’issue des phases d’enquête présentent en général un nombre toujours moins important d’ouvriers, de salariés et de personnes non diplômées, et un nombre toujours plus important de cadres et de professions intellectuelles que dans la population globale. Au


[1] Sondage Harris Interactive pour L’Opinion, réalisé en ligne du 2 au 4 mars 2021. Sondage Ipsos-Sopra Steria pour L’Obs et Franceinfo, réalisé en ligne les 27 et 28 janvier 2021. Sondage IFOP pour Marianne, réalisé en ligne du 5 au 11 mars 2021.

[2] Dans les sondages, la tenue de ce scrutin est complètement ignorée, comme si les résultats des régionales ne devaient en aucun cas participer de la définition des rapports de force à venir dans la campagne pour la présidentielle de 2022.

[3] Sondage Harris Interactive pour L’Opinion et CommStrat, réalisé en ligne, les 19 et 20 janvier 2021.

[4] Comme le laisse à penser Patrick Lehingue, Subunda. Coups de sonde dans l’océan des sondages ?, Éditions du Croquant, 2007, p. 119.

[5] Voir sur ce point le paragraphe II.A.6. du rapport de Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur, « Sondages et démocratie : pour une législation plus respectueuse de la sincérité du débat politique », Rapport d’information du Sénat n° 54, déposé le 20 octobre 2010.

[6] Mésestimations que Patrick Lehingue assigne à trois facteurs : la sous-déclaration du vote frontiste, « socialement indicible parce que perçu comme moralement blâmable ou répréhensible » ; la sous-représentation des personnes peu ou non diplômées dans les échantillons des enquêtes, parmi lesquelles la probabilité de voter pour le FN est élevée ; l’instabilité de l’électorat du FN, qui se renouvelle pour près de moitié d’une élection sur l’autre. Voir Patrick Lehingue, Subunda, op.cit., p. 119-122.

[7] Sondage Harris Interactive pour Le Parisien, réalisé en ligne du 28 février au 3 mars 2011, puis les 5 et 6 mars 2011.

[8] Voir le tableau récapitulatif précieux proposé par le site sondages en France.

[9] Sondage Odoxa pour Le Parisien, réalisé en ligne les 26 et 27 février 2015.

[10] Sondage Ipsos/Sopra Steria pour le CEVIPOF et Le Monde, réalisé en ligne du 20 au 29 novembre 2015.

[11] Sondage Kantar Sofres Onepoint pour LCI et Le Figaro, réalisé en ligne du 28 au 30 avril 2017.

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Alexandre Dézé

Maître de conférences en science politique

Christian Barrault

Conseiller statistique

Notes

[1] Sondage Harris Interactive pour L’Opinion, réalisé en ligne du 2 au 4 mars 2021. Sondage Ipsos-Sopra Steria pour L’Obs et Franceinfo, réalisé en ligne les 27 et 28 janvier 2021. Sondage IFOP pour Marianne, réalisé en ligne du 5 au 11 mars 2021.

[2] Dans les sondages, la tenue de ce scrutin est complètement ignorée, comme si les résultats des régionales ne devaient en aucun cas participer de la définition des rapports de force à venir dans la campagne pour la présidentielle de 2022.

[3] Sondage Harris Interactive pour L’Opinion et CommStrat, réalisé en ligne, les 19 et 20 janvier 2021.

[4] Comme le laisse à penser Patrick Lehingue, Subunda. Coups de sonde dans l’océan des sondages ?, Éditions du Croquant, 2007, p. 119.

[5] Voir sur ce point le paragraphe II.A.6. du rapport de Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur, « Sondages et démocratie : pour une législation plus respectueuse de la sincérité du débat politique », Rapport d’information du Sénat n° 54, déposé le 20 octobre 2010.

[6] Mésestimations que Patrick Lehingue assigne à trois facteurs : la sous-déclaration du vote frontiste, « socialement indicible parce que perçu comme moralement blâmable ou répréhensible » ; la sous-représentation des personnes peu ou non diplômées dans les échantillons des enquêtes, parmi lesquelles la probabilité de voter pour le FN est élevée ; l’instabilité de l’électorat du FN, qui se renouvelle pour près de moitié d’une élection sur l’autre. Voir Patrick Lehingue, Subunda, op.cit., p. 119-122.

[7] Sondage Harris Interactive pour Le Parisien, réalisé en ligne du 28 février au 3 mars 2011, puis les 5 et 6 mars 2011.

[8] Voir le tableau récapitulatif précieux proposé par le site sondages en France.

[9] Sondage Odoxa pour Le Parisien, réalisé en ligne les 26 et 27 février 2015.

[10] Sondage Ipsos/Sopra Steria pour le CEVIPOF et Le Monde, réalisé en ligne du 20 au 29 novembre 2015.

[11] Sondage Kantar Sofres Onepoint pour LCI et Le Figaro, réalisé en ligne du 28 au 30 avril 2017.

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