Société

Des ambivalences du masque aux incertitudes du monde d’après

Sociologue

Depuis le début de la pandémie, le masque s’est inséré dans notre quotidien. D’abord perçu comme un obstacle et une menace pour le lien social, il est devenu, en l’espace de quelques semaines, la condition de la reprise de nos interactions. Surtout, le masque ouvre de façon spectaculaire, tel un aiguillage, les voies qui s’offrent à nous pour s’engager dans le monde d’après.

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Jamais objet technique, pas même le téléphone portable, ne s’était inséré aussi vite dans les pratiques sociales. Certes, le masque n’a rien de nouveau. Il a toujours été présent dans l’imaginaire collectif, dans les pratiques culturelles et festives, dans les luttes politiques, et plus récemment sous la forme littéraire du « pseudonyme » des réseaux sociaux. Mais en Occident et depuis la grippe espagnole, on avait oublié l’usage du masque comme outil sanitaire « grand public ». Jusqu’ici, c’était un objet symbolique, destiné à jouer sur les identités, et non un équipement matériel voué à protéger les corps, sauf dans des contextes d’usage professionnel bien précis.

Je voudrais, à la lumière d’un peu plus d’un an de Covid, esquisser une brève sociologie du masque. Mon intention est d’éclairer l’irruption du masque dans les pratiques sociales et d’en mesurer les conséquences. J’entends montrer que tout se joue autour d’une quintuple ambivalence dont cet objet tourné vers soi et vers les autres est porteur. Comme nous le verrons, cette ambivalence pourrait bien redéfinir très profondément les modalités de notre vivre ensemble.

Le masque, une arme des humains contre les non-humains

La première ambivalence du masque est sa destination. Les humains fourbissent le masque pour eux-mêmes mais surtout contre le virus : cet objet entre en scène pour protéger les humains et contenir les non-humains. Louis Pasteur avait montré qu’en redéfinissant partout le lien social, le microbe, et avec lui Pasteur et les pastoriens, avaient gagné le pouvoir de transformer la société [1]. Les masques et leurs ingénieurs font de même. Comme le virus auquel il s’oppose, cet accessoire et ses promoteurs s’inscrivent partout en tiers dans les relations ; aujourd’hui, les masques et leurs spécialistes tiennent le monde.

Ce nouveau pouvoir repose sur la maîtrise d’une relation particulière entre les hommes et les choses. Le masque d’aujourd’hui, en laissant passer la voix et la respirati


[1] Bruno Latour, Les Microbes, guerre et paix, suivi de Irréductions, Métailié, 1984.

[2] Georg Simmel, « Bridge and Door », dans Theory, Culture & Society n° 1, vol. 11, 1994.

[3] Albert Piette, Anthropologie existentiale, éditions Pétra, 2009.

[4] Jean-Claude Kaufmann, L’invention de soi. Une théorie de l’identité, Armand Colin, 2004.

[5] René Girard, La violence et le sacré, Grasset, 1972.

Franck Cochoy

Sociologue, Professeur de sociologie à l'Université Toulouse-Jean-Jaurès, chercheur au LISST-CNRS et membre sénior de l'IUF

Rayonnages

SociétéSanté

Mots-clés

Covid-19

Notes

[1] Bruno Latour, Les Microbes, guerre et paix, suivi de Irréductions, Métailié, 1984.

[2] Georg Simmel, « Bridge and Door », dans Theory, Culture & Society n° 1, vol. 11, 1994.

[3] Albert Piette, Anthropologie existentiale, éditions Pétra, 2009.

[4] Jean-Claude Kaufmann, L’invention de soi. Une théorie de l’identité, Armand Colin, 2004.

[5] René Girard, La violence et le sacré, Grasset, 1972.