Cinéma

Rom-com twistée et revenge movie au goût amer – sur Promising young woman

Sociologue du théâtre

Grand vainqueur de la 93e cérémonie des Oscars, qui s’est déroulée en ligne le 25 avril, Nomadland construit un regard écoféministe sur l’espace, sur le temps, sur l’amour, et témoigne d’une révolution du regard sur la solitude des femmes qui vieillissent. Mais c’est un tout autre style de féminisme, beaucoup plus repérable et combatif, que pratique Promising Young Woman, Oscar du meilleur scénario original, qui se propose de saper l’inconscient sexiste du genre depuis l’intérieur.

Beaucoup attendaient que l’édition 2021 des Oscars sacre la « diversité », après une année intense sur le front de la lutte contre le racisme, de la mort de George Floyd au verdict historique du procès de son meurtrier. Si ce fut le cas, le féminisme n’a pas été en reste. Deux films primés, le grand favori de la compétition Nomadland et l’outsider Promising Young Woman [1] qui m’intéressera particulièrement, donnent à voir la richesse esthétique et politique du « regard féministe » que peut proposer le cinéma. Ils révèlent aussi le rôle de la transformation des récits et images que construisent les productions culturelles dans la transformation de notre regard sur le monde, et du monde avec.

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Ces deux œuvres ont en commun de travailler de l’intérieur certains genres canoniques, le road trip pour le premier, la rom-com et le revenge movie pour le second, pour resémantiser ces formes. Pour autant, les deux films soulèvent des questions et choisissent des stratégies radicalement différentes. Nomadland a remporté à juste titre les Oscars de la meilleure actrice, du meilleur film et de la meilleure réalisatrice, faisant de Chloé Zhao la deuxième femme à remporter cette récompense. Le film est un chef d’œuvre qui résonne avec l’état de suspens et de vulnérabilité dans lequel nous sommes aujourd’hui plongés.

Ce n’est pas un film de combat. S’il montre qu’il est impossible de continuer à vivre comme avant et que l’organisation néolibérale du monde n’a ni queue ni tête et nous précipite droit dans le gouffre, le film ne cadre pas sur la violence économique, sociale et politique. On voit la dureté des emplois précaires, les entrepôts Amazon, les horaires décalés, l’itinérance imposée par le manque de travail dans des régions dévastées par le chômage. Mais Zhao porte le regard ailleurs, se consacre aux vies des perdant.e.s de la compétition qui détruit les vies et la planète.

L’hommage à ceux qui vivent dans les marges du système est d’autant plus manifeste que, hormis l’actrice principale, tous les personnages de « nomades », ces personnes âgées forcées à vivre dans des vans ou des caravanes parce qu’elles n’ont plus de quoi se payer le luxe d’une maison ou de la sédentarité, sont joués par les personnes réelles dont les histoires ont inspiré la trame.

Nomadland redéfinit ce qui signifient les mots perdants et gagnants, tout comme il redéfinit la beauté, celle des lieux et celle des personnes – des « vieux », et des femmes vieilles en particulier. Ce n’est plus une question de normes plastiques extérieures. On a beaucoup commenté la façon dont est filmé et magnifié le visage ridé de l’actrice, mais cela va plus loin. La beauté est une émotion éprouvée et partagée. Le film porte un regard d’une tendresse infinie sur ce temps de la vie, filmé non comme la fin mais comme le début d’une ère de liberté.

C’est vrai que Fern (Frances Mac Dormand) n’a pas trop le choix. Elle est en deuil de son mari, qu’elle aimait d’un bel et bon amour, mais pas seulement. Quand l’usine a fermé, la ville ouvrière d’Empire où ils habitaient a… fermé elle aussi. Il faut quitter les lieux. Sa vie d’avant est finie, elle doit s’en inventer une autre. Rassemblant ses maigres possessions dans son van, elle prend la route, d’un petit boulot saisonnier à l’autre, de camping en aire de stationnement.

Comme tant d’autres films avant lui, Nomadland nous fait traverser les paysages sublimes et désolés de l’Ouest américain. Mais ce n’est pas un road-trip, plutôt une nomad-journey : la quête d’une nouvelle façon d’habiter la terre, son corps, sa vie d’être vivant et son présent, renonçant au fantasme de se rendre maîtres et possesseurs de tout. Le film construit un regard écoféministe sur l’espace et sur le temps, et sur l’amour.

Loin du refrain attendu sur la vieillesse comme âge de la sagesse, elle est montrée comme temps de la liberté. Cette nouvelle ère, ce nouvel air passe aussi, pour Fern, par une sortie de l’hétérosexualité. Non pas qu’elle devient lesbienne, l’hétérosexualité n’est pas tant affaire de sexualité que de norme sociale. Elle rencontre un homme, un gars bien tout prêt à l’aimer. Ils passent de bons moments, s’entraident. Mais elle ne s’installe pas avec lui, résiste à l’appel de l’installation. Il n’y aura pas de happy end en forme d’un confortable bonheur conjugal. Elle reprend sa route.

Le film révolutionne le regard sur la solitude des femmes qui vieillissent. Ni un renoncement ni un échec, c’est un choix et un bonheur, parce que c’est cette solitude qui permet à Fern de se retrouver et peut-être même, de se rencontrer vraiment. Elle n’est pas un esseulement et n’implique pas une absence de liens. Fern noue de très belles relations tout au long de son voyage, elle vit des relations d’amour, d’amour amoureux donc mais aussi d’amitié. Elle découvre une autre façon de faire famille, qui permet à chaque membre de poursuivre son chemin singulier tout en se sachant bien entouré. Fern et ses sœurs comme Swankie, mais aussi ses frères comme Bob, sont des sorcières et des sorciers d’autant plus libres d’être seul.e.s qu’ils et elles savent pouvoir compter sur leurs communautés, comme leurs communautés peuvent compter sur elles.

C’est un autre style de féminisme, beaucoup plus repérable et combatif, que pratique Promising Young Woman. S’il n’a obtenu que l’Oscar du meilleur scénario original après être reparti bredouille des Golden Globes, le film d’Emerald Fennell a créé la surprise à plus d’un titre dans la compétition de 2021 en obtenant plusieurs nominations d’importance [2]. La nomination dans la catégorie meilleur film en particulier, fait rare pour un premier film, fait rare pour un film réalisé par une femme, est un fait tout simplement inédit pour le premier film d’une réalisatrice qui affiche un féminisme de combat.

Cette réception imprévue de la profession est comme en miroir de l’esthétique du film, construite sur l’effet de surprise et la torsion des narrations dominantes et plus largement, de tous les types de récits cinématographiques imposés, y compris d’ailleurs ceux qui se veulent émancipateurs. Ce sont à la fois les stratégies déployées par ce film et le débat qu’elles ont suscité chez les critiques féministes que je voudrais considérer.

L’accroche de la bande-annonce, qui promet que « jamais la vengeance n’a été aussi savoureuse [3] » est, disons-le d’emblée, carrément mensongère. Pas seulement au vu des réponses – déceptives, déroutantes – que le film va apporter aux questions : Qui se venge ? De quoi ? Est-ce de vengeance qu’il s’agit ? Et qui est la « promising young woman » du titre ? Mais aussi parce que la fin du film fait que le mot « savoureux » semble carrément déplacé. Cette fin est d’ailleurs l’une des trois raisons principales pour lesquelles le film a été critiqué, avec la quête du personnage principal et son identité ou plutôt sa fonction, non dans la fiction mais dans le schéma des violences sexuelles.

Il me semble au contraire que c’est la façon dont le film travaille ces éléments qui en fait toute la force politique. Promising Young Woman entend reprendre le pouvoir sur les narrations imposées en la matière, tout en mettant en lumière la place dominée à laquelle se trouve la narration qu’il propose dans le régime des représentations [4]. La réalisatrice sait qu’elle ne peut se permettre d’être « contre », qu’elle est forcément dedans, et plutôt en bas, dans l’ordre symbolique des représentations. En ce sens, on pourrait dire que le film défend une esthétique guérillère.

Le motif de la guérilla n’est pas neuf dans les mouvements d’émancipation féministes, des Guérillères de Wittig aux « Guerilla Girls [5] ». À sa façon, Promising Young Woman aussi reprend sur le terrain esthétique les outils propres à cet art de la guerre adapté aux configurations dans lesquelles les opposants sont dans un rapport de force massivement asymétrique. Cette asymétrie en implique une autre dans les armes techniques de combat – leurre, embuscades, camouflage, comme le prône Sun Tzu dans son Art de la guerre. Le travail de sape ne peut que s’inscrire dans un temps long.

Un des objectifs secondaires est d’augmenter progressivement le nombre des sympathisants, pour renverser à terme l’ordre en place – un ordre politique, économique, mais aussi symbolique. En attendant, il s’agit de viser des cibles militaires, institutionnelles – ici, les formes de représentation qui ont colonisé nos esprits et qui sont d’autant plus puissantes qu’elles vont sans dire, tant elles ont été naturalisées. Le film infiltre les narrations hégémoniques mais, s’il se coule dans les formes existantes, il les transperce parfois, à coup de twists, version esthétique de l’attaque éclair, où l’armée se fait insaisissable comme l’ombre et frappe avec la soudaineté de la foudre.

Promising Young Woman dynamite les conventions et stéréotypes de genre et de genres cinématographiques, deux en particulier : la rom-com, pour l’esthétique visuelle et musicale et le rape and revenge movie, pour la trame narrative. Ce mix constitue le premier twistage des codes de ces deux genres, chacun étant aussi twisté de l’intérieur.

Ni rom-com, ni revenge movie

Promising Young Woman est livré au spectateur emballé dans une rom’com : décors, costumes de l’héroïne, musique… Le film est une sorte de cupcake géant, comme ceux que l’héroïne Cassie, la trentaine encore engoncée dans des habits de jeune fille en fleur, vend dans le coffee-shop où elle végète. Enfin, ça c’est sa vie le jour, dans les creux de sa vie nocturne, sa vraie vie, celle où elle accomplit sa mission secrète.

Mais, outre que les cupcakes c’est toujours un peu écœurant, le glaçage est d’autant plus glaçant qu’on sait d’emblée combien il est fake et figé, croûte irisée retenant de plus en plus mal ce qui grouille en dessous. La rom-com n’est qu’un épisode du film, un des multiples twists, qui confronte d’ailleurs les spectateur.ice.s à l’ambivalence de leurs attentes.

La rom-com commence quand Cassie rencontre enfin un vrai nice guy, son nice guy, Ryan, à vrai dire déjà croisé à la fac de médecine. Elle le retrouve par hasard, alors qu’il lui achète un café dans lequel elle crache, parce qu’il lui demande ce qu’elle fait là – comprendre, dans cette vie minable alors qu’elle était promise à un brillant avenir. On apprend que Cassie était une des meilleures étudiantes de sa promotion, ce qui ravive la question de savoir ce qui a bien pu la faire dérailler de sa success story toute tracée.

Malgré le mauvais départ, Ryan passe rapidement et haut la main son diplôme d’homme nouveau, débarrassé de l’armure toxique de la masculinité hégémonique. Humilité, humour, finesse psychologique, maîtrise du consentement et joie sereine d’acheter des tampons, tout y est, il est parfait dans le rôle du Prince Charmant 2.0.

Quand le filme égraine les différentes scènes obligées de la romance (les discussions interminables, la sortie ciné, le premier baiser, la scène d’amour et de complicité entre fous rires et ébats passionnés, la routine du quotidien en version comédie musicale sur fond de Paris Hilton), on est partagés. Bien sûr, comment ne pas se réjouir pour le personnage de cette bifurcation de l’intrigue, ce twist qui semble enfin remettre la jeune femme prometteuse sur les rails de sa vie diurne trop longtemps à l’arrêt ?

Mais il faut reconnaître que la mise en pause du revenge movie frustre une attente, et qu’au fond de nous piaffe l’espoir inavouable qu’il reprenne son cours cathartique dont on aimerait savoir jusqu’où il peut aller. Cet espoir est d’ailleurs savamment entretenu par le film, qui ne livre qu’une version peu crédible, en mode clip et accéléré, de la romance. Le leurre est montré comme tel : le revenge movie va bientôt recommencer. Parce que le film est avant tout cela, on le sait dès la scène d’ouverture.

Ivre presque morte, à peine consciente, Cassie, seule au beau milieu d’une boîte de nuit, avachie sur un canapé, tailleur défait, cuisses à demi-écartées. Un groupe de jeunes cadres dynamiques la regarde, d’abord consternés. La proie parfaite, qui attend les ennuis et l’inévitable « elle l’a bien cherché » qui suivra. À vrai dire on les entend déjà ces remarques, prononcées par le petit groupe qui la mate sans complexes. Le double discours est là d’emblée, qui permet aux hommes qui le souhaitent d’agresser des femmes tout en se vivant comme des « nice guys », des types bien, selon la formule que le film mettra de façon répétée dans la bouche de tous les personnages, pour qualifier des hommes dont le film montre qu’ils sont pourtant, par ailleurs et pour autant, des agresseurs.

Dans cette première scène, le nice guy qui se raconte qu’il veut juste « voir comment elle va » – tout en faisant un clin d’œil graveleux à ses amis – parait se voir dans les nobles habits du chevalier servant prêt à sauver une demoiselle en détresse. Par ailleurs et pour autant, donc, il ramène chez lui une Cassie titubante, puis lui propose encore de boire, puis entreprend de la déshabiller alors qu’elle est à moitié inconsciente et se contente de murmurer, comme dans un demi-sommeil, quelques faibles « qu’est-ce que tu fais ? ».

D’un coup, la scène bascule. On n’assiste plus impuissants au spectacle d’un corps presque inerte aux mains d’un corps actif. Cassie ouvre grand les yeux, face caméra. Elle redresse le buste et toise le type qui n’a encore rien remarqué, tout affairé qu’il est à lui retirer sa culotte. « J’ai dit : qu’est-ce que tu fais ? » La même phrase, mais prononcée d’une toute autre voix, forte, claire, lucide, celle d’une femme en possession de ses moyens, « sobre et glaciale comme une pierre [6] », au grand dam du nice guy/apprenti-violeur.

La scène se répètera plusieurs fois, structurant la première partie du film. Dans différents lieux, avec des hommes de différents milieux car, le film le rappelle sans ostentation, le rapport prédateur aux femmes n’est pas affaire de riches ou de pauvres ni d’éducation, il est partout et le restera tant que nos sociétés resteront ancrées dans un système patriarcal qui légitime économiquement, socialement et symboliquement l’exercice de diverses formes de domination des hommes sur les femmes, et qui hiérarchise également les hommes entre eux. Un suspens plane sur la façon dont ce jeu dangereux va se finir pour l’héroïne. On s’inquiète pour elle.

La scène suivante nous rassure… autant qu’elle nous inquiète pour une autre raison. Le lendemain matin, Cassie marche pieds nus sur le bord d’une route, débraillée mais radieuse, croquant à belles dents dans un hot-dog, les joues roses comme après une bonne nuit de sexe… à moins que ce soit le meurtre de son agresseur potentiel qui l’ait ragaillardie ? La coulée rouge qui traine le long de son mollet suscite le doute. Chaque fois, rentrée chez elle dans sa chambre d’enfant (car la jeune femme vit toujours chez papa-maman), armée de son crayon multi-couleurs, Cassie ajoute un nouveau bâton dans le petit carnet où elle tient ses comptes. Les pages sont déjà bien remplies. Autant de traits, autant de cibles atteintes.

Quelle est la nature exacte de cette mission secrète ? Une quête de justice ou de vengeance ? Qu’est-ce qui la pousse à agir ainsi ? Le spectateur est bien forcé de se demander si elle n’est pas quand même un peu « psycho » comme l’en accusent les hommes qu’elle croise. Quand les trois agents de chantier qui la harcèlent mais supportent mal qu’elle se plante devant eux et les toise sans peur, la traitent de folle, on est avec elle. Quand elle tend des pièges qui pourraient violemment se retourner contre elle, on est moins sûrs de la suivre.

C’est une des forces du film de ne pas se contenter de confronter le spectateur au continuum des violences sexistes, du harcèlement de rue au viol, comme à un spectacle extérieur. Bien sûr, Promising Young Woman nous fait éprouver cette violence en nous mettant du côté des personnes qui la subissent. Mais il nous fait aussi à quelques reprises douter des intentions du personnage et nous met en position de juger son état mental préoccupant ou ses actes excessifs, avant de clarifier les situations.

Il nous fait ainsi éprouver nos préjugés et nos représentations spontanées, nous révélant l’emprise des préjugés sexistes qui font que nous participons tous à la culture du viol. C’est ce système de croyances inculquées depuis l’enfance et donc largement inconscientes qui conduit, alors que les femmes sont statistiquement victimes de la violence des hommes, à ce que le discours ordinaire accepte cet état de fait (choquant au regard des normes de nos sociétés égalitaires), mais se focalise non sur le modèle de masculinité hégémonique qui fait que les hommes se sentent autorisés à agresser, mais sur le comportement des femmes agressées.

Promising Young Woman nous confronte à notre adhésion spontanée à cette culture qui est partout et donc fatalement en nous. Mais il n’est pas fatal qu’elle y reste. Pour cela, nos représentations doivent changer. La rom-com fonctionne à la fois comme un appât pour attirer le spectateur, et comme une preuve dans la démonstration du film. Les représentations comptent et certaines formes culturelles diffusent l’air de rien des stéréotypes sexistes. De fait, la sociologue Julia R. Lippman a récemment montré que les spectatrices de ce genre de films avaient un seuil d’acceptation du harcèlement, le justifiant au nom d’une forme d’idéalisation romantique [7].

On reste jusqu’au bout dans l’esthétique girly girl, mais le film sape l’inconscient sexiste du genre de l’intérieur. D’abord, parce que le happy end a un goût amer – la scène de mariage attendue sera interrompue par l’arrestation du marié. Ensuite, parce que dans ce cadre visuel et sonore se déploie une tout autre trame narrative qui joue, elle, avec les codes d’un genre quasi opposé.

Promising Young Woman twiste aussi le rape and revenge movie. Le premier décalage est esthétique, puisque comme dit, le look rom’com reste de mise jusqu’au bout. Mais c’est surtout l’héroïne qui marque l’écart.

D’habitude, dans ce genre de film, après une première existence de jolie jeune femme et une première fin, celle de la proie laissée pour morte, le personnage renait de ses cendres et opère une transformation psychologique et physique radicale. Elle brûle souvent les étapes de victime à survivante et même guerrière prête à se venger du patriarcat et de ceux qui l’incarnent, particulièrement les hommes qui l’ont agressée. Ce saut passe par un changement de panoplie, habits (treillis-débardeur vs bikini) et accessoires (fusil d’assaut vs talons hauts). Ça n’empêche pas la sexyness, d’ailleurs, bien au contraire, mais clairement dans un style différent.

Ici, rien de tel. Carey Mulligan n’est pas la Charlize Theron de Monster ou de Mad Max : Fury Road (2015). Elle n’est pas non plus la Lolita reconvertie en Sarah Connor de Revenge, le premier film de Coralie Fargea (2018). Pour Cassie, pas de devenir badass. Le changement de costume et de posture consiste à garder les mêmes mais à les porter comme un costume justement désormais, et non plus au premier degré. Jouer la victime mignonne pour ne plus l’être. Se faire appât. Garder sa féminité mais l’armer en secret (certaines critiques ont parlé de « weaponized feminity [8] »). Mais Promising Young Woman opère également une torsion des codes narratifs du revenge movie. Le film déjoue triplement les attentes, qu’il s’agisse de la nature de la quête de l’héroïne, de son identité ou de la « leçon » que l’on pourrait tirer de la fin.

Une quête entre vengeance et justice, addiction autodestructrice et mission d’éducation

Commençons par la quête. Sa nature est incertaine pour le spectateur, et instable. Un des intérêts du film tient à la démultiplication des questions qu’il soulève ainsi. D’abord : s’agit-il de vengeance ou de justice ?

Partons des définitions les plus simples. Selon le dictionnaire, la vengeance désigne une « action par laquelle une personne offensée, outragée ou lésée, inflige en retour et par ressentiment un mal à l’offenseur afin de le punir » et le « résultat de cette action », tandis que la justice désigne un « principe moral impliquant la conformité de la rétribution avec le mérite, le respect de ce qui est conforme au droit ».

Justice et vengeance s’opposent ainsi à plusieurs niveaux, pas tout à fait comme le bien au mal mais, disons, comme le bien à une tentation à laquelle il ne faudrait pas céder. C’est donc par contraste avec l’idéal de justice que la vengeance est définie et délégitimée, non parce qu’elle punit, ce que la justice fait aussi à travers l’institution judiciaire, mais du fait du motif, de la nature et de la source de la punition.

Dans la vengeance, l’auteur de la punition est la victime (directe ou indirecte) du préjudice, et son motif de punition est le ressentiment. La punition est donc attribuée par une instance à la fois juge et partie, ce qui induit le soupçon d’une punition excessive et fondée sur des motifs discutables, autrement dit, sur le soupçon d’une injustice. Dans l’imaginaire collectif de nos démocraties, vengeance et justice s’opposent donc comme le choix d’une société « avancée » contre un système de châtiment archaïque, marque d’organisations sociales frustres et attardées.

Elles s’opposent aussi comme l’acte élaboré et dépassionné d’une entité morale considérée comme telle précisément du fait de la dépersonnalisation, par différence avec le passage à l’acte pulsionnel d’un individu lésé, rendu hors d’usage de ses facultés de sujet moral et politique. Pour autant, la vengeance conserve une place licite, comme un refoulé dont les productions culturelles, notamment, pourraient permettre le retour sous une forme cathartique somme toute bénéfique à l’édifice social parce que, tout en étant inoffensive dans le réel, elle permettrait d’assouvir de façon compensatoire et dérivative cette part pulsionnelle que tout humain civilisé garde en lui.

Nombre des productions culturelles qui mobilisent les codes du récit de vengeance ou les figures de justiciers et de super-héros, travaillent en fait de façon bien plus complexe la frontière entre justice et vengeance, et entre justice institutionnelle et justice parallèle. Zorro, qui a pourtant bonne presse, n’a-t-il pas pour surnom « le vengeur masqué » ? La mission de Batman est enracinée dans le sentiment d’impuissance et d’injustice éprouvé par le petit Bruce, témoin du meurtre de ses parents. Pour ne rien dire de la « guerre civile » qui finit par opposer entre eux les Avengers [9], entre deux options : s’en remettre aux institutions internationales comme seule justice légitime vs continuer de rendre une justice autonome, légitime bien que hors-la-loi.

Au-delà du conflit psychanalytique entre castration et toute-puissance, ces œuvres questionnent les apories autant que la nécessité du recours à une justice parallèle, dans un contexte où l’institution judiciaire en place manifeste clairement ses failles et son inaptitude à rendre la justice, quand elle n’est pas carrément corrompue et au service des criminels puissants. Or, les statistiques [10] montrent que c’est particulièrement le cas dans les affaires de violences sexuelles.

Promising Young Woman incarne ces chiffres et pose la question : dans quelle mesure peut-on considérer le recours à la violence comme juste, bien que hors du cadre du fameux « monopole de la violence légitime » détenu par l’État ? Justice et violence ont partie liée. Pas de justice sans peur de la sanction, qui passe par un ensemble de dispositifs coercitifs dont le recours à la force physique fait partie. C’est une des bases de l’inculcation habituelle des normes dans nos sociétés, et c’est tout le sens des expressions appelant à ce que la honte et la peur « changent de camp ».

Ceux qui agressent n’ont, dans le système judicaire et dans le système réputationnel actuels, pas de raison d’avoir peur ni de la justice, ni de la réprobation sociale. L’impunité massive des violences sexuelles fait que les agresseurs n’ont, à raison, pas grande crainte de subir une sanction et qu’inversement les femmes ont à la fois peur d’être agressées, de ne pas être crues et de ne pas obtenir justice, à raison là aussi. C’est pour cela que le recours à l’auto-défense structurelle contre les violences sexuelles peut se justifier, telle une réponse « par provision » comme dirait Descartes, en attendant la réforme du système judiciaire et le changement des normes sociales pour l’heure complices des agresseurs. C’est dans cette mesure que le récit de vengeance peut être considéré comme libérateur et empouvoirant d’un point de vue féministe. Pour autant, il peut être questionné de ce même point de vue.

Le film a été critiqué à la fois au motif qu’il ne proposerait pas un récit d’empouvoirement assez clair et pour l’injonction implicite à la combativité qu’il pourrait adresser aux victimes. Il questionne avec une grande finesse politique et psychologique la dimension empouvoirante que peut avoir un projet de vengeance et même un projet de justice, sans pour autant les invalider.

D’abord, il n’élude pas qu’il s’agit pour Cassie d’une démarche trouble, que la réalisatrice compare même à une forme d’addiction. Certains sont dépendants au sexe, Cassie l’est (devenue) aux confrontations avec ces prétendus nice guys qu’elle démasque à leurs propres yeux et ceux des spectateurs comme des agresseurs. Il y a bien une dimension de passage à l’acte autodestructeur qui met Cassie en danger. Elle prend un double risque : au pire, se faire tuer au mieux, passer pour la psycho de service – psycho : second rôle social féminin complémentaire au premier rôle masculin du nice guy de façade avec agresseur caché incorporé.

La nature de la quête se précise en plusieurs temps. Au début, Cassie choisit ses cibles au hasard de ses rencontres nocturnes, d’où le côté addictif mais aussi répétitif, potentiellement infini, de sa mission. Puis celle-ci se focalise, ce qui lui donne une fin possible mais la rend plus instable. Cassie apprend par Ryan qu’Al Monroe, ce sacré Al, un de leurs anciens camarades de promo, est revenu en ville et va se marier.

On comprend tout de suite que c’est ce nice guy-là qui a mis un coup d’arrêt à sa trajectoire de promising young woman, qui est la cause de son trauma. C’est lui l’agresseur de Nina, la meilleure amie de Cassie, qui ne s’est jamais remise de ce viol tandis que le promising young man est, lui, en pleine forme, bien dans ses baskets et dans sa vie. Il devient la cible principale de Cassie. Mais pas la seule.

Scène après scène, le film montre à nouveau que le viol est toujours un crime collectif. Il se focalise cette fois sur l’aval et non plus sur l’amont de l’acte, et sur un seul cas, il montre que la violence du viol est toujours décuplée par la violence sociale et institutionnelle de la police, de la justice et de l’entourage, tous complices plus ou moins passifs de l’agresseur et de sa version des faits, entre refus de voir, refus de croire et refus de qualifier.

Évidemment, l’enjeu personnel et traumatique de cette ultime mission de Cassie devient patent, et la frontière entre vengeance et justice encore plus ténue, glissante. Encore une fois, le film ne botte pas en touche, n’élude pas la complexité et fait éprouver au spectateur le malaise. D’abord, quand Cassie invite à déjeuner une des filles de la bande, Madison, autre jeune fille prometteuse, à l’époque étudiante délurée, aujourd’hui mère de famille rangée. Ensuite, quand elle rencontre la doyenne de la faculté, déjà en poste au moment des faits, tout en bienveillance inconsciente de la violence de son discours sur Nina, dont elle a oublié l’existence tandis qu’elle se souvient parfaitement de ce cher Al, un type formidable. Il faut dire qu’il venu pas plus tard que la semaine précédente honorer son ancienne université d’une conférence sur son prestigieux parcours.

Montrer le viol comme centre invisible et silencieux de la mécanique sociale patriarcale

Confrontation après confrontation, le film donne à voir de façon implacable qu’à l’inverse de la représentation dominante qui maintient le viol dans les limbes de notre organisation sociale, comme un acte anormal qui ne concernerait que quelques individus exceptionnels côté victimes comme côté agresseurs, c’est un fait social central qui concerne tout le monde. Personne n’est hors de la scène et la position de simple spectateur n’existe pas.

Celles et ceux qui se vivent comme extérieurs et neutres sont en fait acteurs et actrices, concerné.e.s et même plus ou moins impliqué.e.s. Leurs silences comme leurs mots profitent à ceux qui agressent, et participent de la culture de l’impunité et de l’opportunité dont bénéficient les violeurs. Loin d’être des témoins innocents et impuissants, ils portent une responsabilité et parfois même, une responsabilité pénale. Bien sûr, il est difficile d’assumer sa lâcheté et d’oser se reconnaitre coupable de non-dénonciation de crime voire de complicité active. Préserver sa bonne conscience et éviter les possibles ennuis judiciaires implique donc toujours forcément d’aller un peu plus loin que le simple détournement de regard et d’oreilles.

Dans ce discours paradoxal, refuser de voir, refuser de croire les faits, refuser de les nommer pour ce qu’ils sont, ce côté agresseur.s, implique, en parallèle, de les reconnaitre et de les qualifier pour focaliser la responsabilité sur la victime. Il faut dire qu’elle est la seule preuve, encombrante, de ce dont on voudrait bien nier l’existence (le viol et le violeur). Aller plus loin, c’est donc la déqualifier comme victime, et la disqualifier comme témoin : ce qu’elle dit n’est pas vrai et si jamais c’est vrai, c’est que c’est de sa faute. On la blâme alors, pour ses mœurs et sa tenue forcément légères, on la rhabille par ces discours d’un nouveau costume : la « folle » ou la « fille facile », souvent les deux.

C’est ce qu’a fait Madison avec Nina, et ce qu’elle refait. Elle explique à Cassie que « ce n’est pas elle qui fait les règles » et que quand on a « la réputation de coucher à droite à gauche » et qu’on « se prend des cuites », « on ne peut pas s’attendre à être crue si on dit qu’on a couché avec un gars contre notre gré ». Ce disant, elle reconnait avoir tout vu et avoir laissé faire, comme les autres. C’est aussi ce que fait la doyenne, alors que Cassie lui rappelle les faits, qui n’avaient pas encore été détaillés et dont le récit apparait en net décalage avec la version édulcorée à laquelle s’accroche Madison.

Au cours d’une soirée bien arrosée, Al a eu des relations sexuelles à plusieurs reprises avec Nina alors qu’elle était inconsciente. Les actes, qui se sont déroulés en partie devant leurs amis, ont été si violents que le lendemain, la jeune femme avait le corps couvert de bleus. Ce récit n’empêche pas la doyenne de tenir sa ligne, quand Cassie lui rappelle que c’est elle-même qui avait refusé de donner suite à la plainte de Nina. Si celle-ci « avait bu et ne se rappelait pas de tout », il est logique qu’elle-même ait jugé son témoignage peu crédible. Elle réaffirme sa priorité : « il est impossible de ruiner la vie d’un jeune homme chaque fois qu’il y a une accusation de ce genre », d’autant que, précise-t-elle sans ciller, on « reçoit ce genre de plainte deux fois par semaine ». Entre l’hypothèse d’une épidémie d’agressions sexuelles sur les campus et celle d’une épidémie de mensonges de jeunes femmes déséquilibrées, elle a choisi.

Le discours de ces deux femmes est un pur concentré de culture du viol, qui ne fait jouer la responsabilité individuelle que du côté de la victime, jamais de l’agresseur. Comme le résume la doyenne : « personne ne veut reconnaitre qu’on s’est mis dans une position vulnérable, qu’on a fait une erreur », mais c’est à la jeune femme de l’assumer, pas au jeune homme « innocent jusqu’à preuve du contraire » et donc toujours innocent puisqu’on n’ira pas chercher de preuve.

Le spectateur n’a donc pas grande sympathie pour ces femmes. Pour autant, quand Cassie, à la fin du déjeuner où elle a fait boire Madison, remet de l’argent et une clé à un type en lui demandant de ramener la femme ivre dans une chambre d’hôtel, on ne peut cautionner ce qu’on craint de comprendre : qu’elle fasse vivre à Madison ce qu’a vécu Nina. De même, comment ne pas être mal à l’aise quand Cassie explique à la doyenne que sa fille mineure se trouve en ce moment même dans l’ancienne chambre de dortoir de Nina, en compagnie des trois garçons majeurs qui l’occupent désormais ?

On se demande même si l’accusation de folie n’est pas un peu méritée. En tout cas, on en vient à douter de la nature et du bien-fondé de la quête de Cassie. Mais, loin que ce soit un problème comme l’a estimé Dana Stevens, c’est l’intérêt de Promising Young Woman que de montrer que cette quête n’est pas simple, ni limpide, qu’elle se joue sur le fil. Le film confronte Cassie à sa pulsion de vengeance et le spectateur à l’ambivalence de son désir : d’un côté, la satisfaction cathartique de voir les méchants punis ; de l’autre, le plaisir de voir l’héroïne triompher de ses pulsions vengeresses archaïques et des nôtres.

Ces scènes questionnent la teneur et la tenue morales de la quête du personnage et des attentes du spectateur. À ces questions, le film apporte une réponse pertinente parce qu’ambivalente, qui nous confronte à notre ambivalence. On est déçus et rassurés quand on apprend que le type a simplement raccompagné Madison à sa chambre, et que la fille de la doyenne aura juste vécu la déception d’avoir attendu en vain de rencontrer le groupe de musique dont elle est fan. Ces deux twists frustrent la pulsion qu’entretient le code narratif du revenge movie, mais rassurent la part progressiste du spectateur, et clarifient le projet de Cassie et du film : ne pas céder à la vengeance ni même au projet de se faire justice, mais éduquer.

Bien sûr, Cassie ne rechigne pas à une forme de violence psychologique puisque, sans faire subir à ces femmes ce que Nina a subi, elle leur fait éprouver un moment l’état émotionnel de la victime ou de ses proches. C’est une forme d’éducation discutable parce qu’un peu maltraitante, et qui passe par la peur, pour forcer les agresseurs (dans la première partie du film) et le cercle des complices inconscients (dans la seconde) à prendre la mesure de leurs responsabilités, mais aussi à déplacer leur empathie de l’agresseur à l’agressée. « Regardez, comme c’était facile », dit-elle à la doyenne, « il suffisait de regarder les choses sous le bon angle ».

« Que fais-tu/qu’avez-vous fait ? » : c’est la même question qu’elle pose à ses possibles agresseurs et à ceux qui les couvrent, à tous les protagonistes qui perpétuent la culture du viol. Parfois, la leçon est efficace et le décillement semble opérer, comme avec le deuxième type que Cassie a confronté. Après s’être indigné (« Qu’est-ce que tu insinues ? Que je suis un prédateur ? Mais je suis un brave type »), il semble sincère à la fin de la scène quand il a reconnu enfin : « J’ai compris. »

De même, Madison est changée par son expérience et accède à la prise de conscience et donc aux remords. Quelques jours après sa mésaventure, alors que Cassie l’a rassurée sur le fait qu’il ne lui était rien arrivé, elle lui remet la preuve indiscutable du viol : une vidéo de la fameuse soirée. Ce nouveau twist s’avère à double détente pour la quête de Cassie. D’un côté, elle a enfin de quoi passer la main à l’institution judiciaire qui aura la preuve matérielle qui lui manquait jusque-là pour que justice soit rendue dans la forme pénale homologuée. Mais dans le même temps, la pulsion de vengeance se trouve violemment réactivée, avec une cible douloureusement proche. Sur la vidéo, Cassie découvre Ryan. Lui aussi était là. Lui aussi a tout vu, n’a rien fait et puis a fait comme si de rien était.

La violence meurtrière du boys’club

La dernière partie du film montre l’étendue de la culture du viol et le rôle qu’y joue le boys’ club. Comme l’a montré Martine Delvaux, l’expression désigne, au-delà de tels ou tels espaces ou réseaux de sociabilité concrets, le système d’entre-soi qui assoit la domination masculine. Le boys’ club, c’est l’espace symbolique « par quoi la masculinité devient ce genre sexué qui n’en est pas un parce qu’il représente tout le monde », c’est la pièce maîtresse du patriarcat, qui structure une organisation sociale « où les hommes sont hiérarchiquement supérieurs aux femmes (et où certains hommes sont supérieurs à d’autres hommes), où certains sont sujets et les autres sont des objets à échanger ».

Le boys’ club ne désigne pas seulement un lieu de pouvoir, c’est l’instance de fabrique du pouvoir dans nos sociétés démocratiques mais toujours patriacales. Le pouvoir n’est jamais simplement localisé en un ou plusieurs lieux identifiés qu’il suffirait de désactiver pour renverser l’ordre en place. Tout au contraire son efficacité tient au fait qu’il s’agit, pour le dire avec Foucault, d’un « faisceau plus ou moins organisé, plus ou moins pyramidalisé, plus ou moins coordonné, de relations [11] » autrement plus difficiles à déraciner, puisque ce travail impliquerait de retourner l’ensemble du sol sur lequel nos vies sociales et psychiques sont construites.

Le boys’ club est donné à voir dès la première scène du film dans la boîte de nuit : avant de repérer Cassie, les trois yuppies sont occupés à se moquer d’une collègue qui a osé trouver injuste d’avoir moins de clients parce qu’elle n’a accès ni aux soirées de beuverie ni au golf dominical. Mais la fin du film détaille les mécanismes pernicieux du boys’ club à travers un exemple précis, celui des étudiants de l’école de médecine, révélant au passage l’étendue et la violence des réseaux de solidarité masculine.

Cet adjectif n’équivaut nullement à essentialiser la catégorie biologique « hommes » et la force politique de Promising Young Woman tient au fait qu’il ne cible pas tel ou tel homme qui serait accidentellement mauvais, telle la commode pomme pourrie d’un arbre par ailleurs sain. Il dézoome, faisant apparaître dans le champ les innombrables pommes pourries qui jonchent notre sol, et élargit encore le cadre pour révéler le problème en vue d’ensemble, des racines aux fruits en passant par le tronc de l’arbre du patriarcat.

Le problème c’est cet arbre, c’est la légitimation d’une masculinité hégémonique prédatrice à l’égard des femmes et dominatrice à l’égard de tous ceux qui ne sont pas adoubés comme mâles dominant le jeu social et économique. Il montre la façon dont cette entité individuelle et collective se construit et agit socialement, et pointe ce faisant les responsabilités de toutes les personnes impliquées dans le maintien de ce système, hommes ou femmes. Il détaille aussi les différences de genre à l’œuvre dans les mécanismes de complicité comme dans les logiques d’exclusion, tout en soulignant que toute personne qui ose contester le pouvoir du boys’club, quel que soit son genre, en paiera le prix.

Le film distingue plusieurs types d’hommes et parmi eux, représente de vrais good guys. Certains sont innocents mais ignorants et impuissants, comme le père de Cassie, heureux pour sa fille et soulagé dans sa mission de père quand il croit qu’elle a enfin trouvé le bonheur auprès d’un type aussi gentil que lui. D’autres savent ce qu’il en est, comment fonctionne le jeu, et refusent de le jouer. La scène de confrontation entre Cassie et l’avocat qui a jadis défendu Al Monroe est la seule qui déjoue d’emblée son scénario tout préparé. Dès qu’il lui ouvre la porte, il ne nie pas, il veut parler.

Contrairement à Madison, il ne cherche pas à oublier les faits et la part qu’il y a prise. Ça fait même des années qu’il y réfléchit. Contrairement à la doyenne, il se souvient de Nina, de son prénom et de sa personne alors qu’il a oublié le nom de son ancien client. Il faut dire qu’il en a défendu tellement. Avec toujours les mêmes techniques, elles aussi bien ancrées dans la culture du viol qui implique aussi une culture de la silenciation : décrédibiliser la victime et renverser l’accusation, pour faire taire la victime et étouffer sa parole dans la honte. Fort de son expertise, il explique à Cassie (et nous avec) qu’il suffit en général de retrouver une photo compromettante de la victime, un peu trop dénudée ou éméchée sur les réseaux sociaux, pour lui rendre le jury hostile. C’est ainsi que les accusés repartent libres, le doute raisonnable qui leur bénéficient étant souvent une mise en doute de la parole de leur accusatrice.

L’avocat explique aussi sa propre honte à Cassie, sans jamais avoir l’obscénité de chercher à se faire plaindre. Il a compris que changer implique de ne plus mettre son ego viril au centre. Et il a compris, tout seul, par lui-même, qu’être un allié véritable implique de ne pas imposer aux victimes la charge mentale de l’éducation, qu’il faut écouter et s’auto-éduquer dans son coin. Il sera d’ailleurs l’allié loyal de Cassie pour la fin de sa quête. On l’estime pour le chemin parcouru, qui a fait basculer son empathie des agresseurs aux victimes et l’a conduit à « refuser d’être un homme », si être un homme implique d’accepter la domination de la masculinité hégémonique du groupe social des hommes blancs, cis, bourgeois sur les femmes et tous les autres, leurs autres, ceux qui ne sont pas comme eux.

De façon subtile, le film montre le coût de l’acceptation de la règle du jeu. Si l’avocat a cessé de jouer, c’est parce que cela le détruisait. Comme il l’explique à Cassie avec un humour noir qui n’est pas la moindre de ses qualités : « J’ai eu une épiphanie. Mes médecins parlent plutôt d’épisode psychotique. » Cet homme a tout perdu socialement, en retrouvant une image digne de lui-même, à ses yeux comme aux nôtres. Le film montre le coût implacable de la remise en cause des règles du jeu : on y perd au mieux, la réputation, au pire, la vie. Nous sommes loin de vivre dans un monde d’après, dans une nouvelle ère post #Metoo, et le viol est un crime collectif, côté agresseur.s mais aussi côté victime.s.

La trajectoire du personnage de Ryan est en miroir de celle de l’avocat. Son image vole en éclats en quelques scènes à peine. Elle est d’abord écornée par la découverte de son statut passé de subordonné plus ou moins passivement soumis à la hiérarchie de la virilité. Mais il faudra aller au-delà d’un simple réajustement préservant une image globalement positive du personnage. Ryan ne se contente pas se dédouaner avec un « nous étions juste des gamins ».

Quand il comprend que ses actes passés, qui relèvent bel et bien d’une forme de complicité aux yeux de la loi, pourraient lui coûter gros – sa carrière de pédiatre et son image de gendre idéal, peut-être même sa liberté – il révèle un autre visage. Il apprend par la police que Cassie est portée disparue. Il sait où elle est et se doute qu’elle court un danger, puisqu’elle l’a forcé à lui donner l’adresse de l’enterrement de vie de garçon de Al, et que c’est depuis ce jour qu’elle n’a plus donné signe de vie. Pourtant, quand le policier lui demande s’il sait où elle est, il ment. Il acquiesce même à l’idée qu’elle pourrait avoir mis fin à ses jours. Après tout, bon débarras : si elle est morte, elle ne pourra pas diffuser la vidéo. La compagne qu’il aimait tendrement quelques moments plus tôt n’est plus qu’une menace à éliminer.

Le film répète cette vérité autant qu’il le faudra pour qu’on l’entende enfin : vient souvent un moment où la solidarité masculine avec l’agresseur implique de devenir agresseur (et criminel) soi-même. Il en ira de même pour le meilleur ami de Al, Joe. La fin du film montre aussi qu’une agression en appelle souvent une autre, parce qu’il faut bien faire taire les victimes et les témoins gênants pour préserver ce bien précieux entre tous qu’est la respectabilité. Pour ça, un membre du boys’club est prêt à tout et il peut beaucoup, d’autant qu’il peut compter sur ses acolytes, prêts à devenir de vrais « partners in crime ».

La fin de la quête : suicide ou meurtre ? Victoire ou échec ?

La scène presque finale, qui catalyse la complexité du sens que l’on peut donner à la mission de Cassie et par là la finesse du propos du film, s’ouvre au son de « Toxic » de Britney Spears. Pas le refrain sirupeux et dansant, l’intro stridente, grinçante, un son de scie circulaire qu’on peut facilement projeter sur le décor : une maison reculée au milieu de la forêt.

Cassie, dans son petit costume de slutty nurse d’un blanc immaculé, est-elle un petit chaperon rouge inconscient voire suicidaire qui va se jeter dans la gueule du loup ? Est-elle le chasseur solitaire prêt à venger les victimes des hommes prédateurs ? L’atmosphère de séduction glauque qui règne quand elle commence son strip-tease fait en tout cas résonner les paroles de la chanson, lourdes de sens sur les règles de la séduction que nous apprend la pop-culture. L’écho est d’autant plus clair à l’heure de la sortie du documentaire Framing Britney Spears [12], qui souligne la responsabilité d’une industrie musicale qui n’a eu aucun scrupule à hypersexualiser une jeune fille mineure à ses débuts, mais qui souligne aussi celle du public.

Comme ce fut le cas en France avec Loana, après avoir choisi de croire à la fiction d’une femme forte et indépendante et le lui avoir même reproché, il s’est repu du spectacle très médiagénique de la déchéance d’une femme instrumentalisée et même exploitée depuis son enfance par une famille elle-même toxique, jusqu’à l’acmé de la violence et de la perversion du patriacapitalisme : jugée assez fonctionnelle pour faire la machine à cash, la chanteuse est dans le même temps jugée inapte à veiller sur ses intérêts, et confiée à la tutelle de son père. Or, la chanson « Toxic », grand succès à la sortie en 2004, a marqué le début la descente aux enfers de la chanteuse :

A guy like you should wear a warnin’
It’s dangerous, I’m fallin’
There’s no escape, I can’t wait
I need a hit

Baby, give me it
You’re dangerous
I’m lovin’ it
With a taste of your lips, I’m on a ride
You’re toxic, I’m slippin’ under
Taste of a poison paradise
I’m addicted to you

Ce qui est toxique, ce n’est pas tel ou tel garçon, tel ou tel amour, c’est le boys’ club, c’est la masculinité hégémonique, c’est la culture du viol. C’est un poison qui tue, à petit feu ou d’un seul coup. On sait que le danger est plus grand dans cette ultime confrontation que dans les précédentes, notamment parce qu’elle est décidée à se venger elle-même si besoin et à recourir à la violence physique contre un homme violent. Après être montée dans la chambre de Al, elle l’attache avec des menottes fourrées avant de tomber le masque.

Comme il était à prévoir, il nie les faits puis leur qualification, alors elle lui explique le châtiment qui l’attend. En petite sœur de la Lisbeth Salender de Millenium dont elle partage le gabarit, elle va graver le prénom de la victime dans la chair de son agresseur, pour qu’il soit marqué à vie lui aussi. Comme il était à craindre, l’agresseur ne se laisse pas faire, et elle n’a pas le dessus sur lui. La violence surgit alors à nouveau dans la fiction, sous deux formes presque opposées mais tout aussi insupportables.

D’abord, le meurtre de Cassie, une mort aussi imprévisible que brutale. On refuse d’en croire nos yeux et on a envie de hurler de colère face à son corps minuscule étendu sur le lit au petit matin, petite poupée de chiffon étouffée la tête sous l’oreiller, bras en croix.

La deuxième violence représentée est, elle, anti-spectaculaire, pernicieuse. Préserver son statut et celui de ses amis au sein du boys’ club peut impliquer d’aller jusqu’au meurtre mais le tout est, là encore, que les choses ne soient jamais nommées, que les actes se commettent et les décisions se prennent à l’ombre d’atténuations pudiques, d’euphémisations et de disqualifications/requalifications des faits. Le meilleur ami de Al, Joe, le rejoint. Quand il comprend que Cassie est morte et que Al l’a tuée, il guide son ami vers la version des faits à laquelle il doit désormais croire pour mieux la répéter : ce n’est pas sa faute, il n’a rien fait de mal, c’était un accident.

La scène suivante les montre en pleine nature, vérifiant que le cadavre brûle bien. Ils pleurent et sont choqués, bien sûr, ce ne sont pas des psychopathes. Mais ils ne consacrent que quelques instants aux états d’âme, et uniquement pour se disculper et se justifier. Pour le reste, la pensée opérationnelle, tournée vers l’objectif de ne pas subir les conséquences pénales et sociales de l’acte commis, prend tout l’espace.

La mort de Cassie est aussi une violence que le film fait éprouver au spectateur. Non seulement le fait, mais sa qualification, là encore. Car la mise en scène laisse planer un doute sur la façon dont on doit interpréter son geste. Pour être une héroïne, encore faut-il ne pas vouloir mourir en sauvant le monde. Est-ce un geste sacrificiel alors ? Il est efficace dans le réel, on ne peut lui retirer ça. Cassie n’est pas morte en vain. Se doutant qu’il n’était pas acquis que le coupable reconnaisse les faits, elle avait pris ses dispositions et prévu un plan B. Elle a tout expliqué à l’avocat et lui a envoyé le téléphone, le chargeant de remettre cette preuve à la police au cas où elle disparaitrait.

Si la scène de mariage a bien lieu, le dénouement de la rom-com est interrompu, et c’est heureux puisque le marié est un violeur et un assassin et son témoin son complice. Quand ce dernier sort le discours censé nous émouvoir sur la belle amitié qui les soude depuis l’enfance, la devise « bros before hos », au cœur de bien des scénarios de comédies, révèle sa violence cachée : c’est le slogan du boys’ club et cette loyauté, qui mêle amitié et jeu de « je te tiens, tu me tiens par les c… » et peut impliquer d’aller jusqu’au meurtre. Le scénario doit donc s’ajuster.

Pas de baiser, la police arrête le marié sous les yeux de sa dulcinée et de tout l’entourage des deux jeunes gens de bonne famille. Et pan, la réputation. Le happy end ce n’est pas le mariage, c’est l’arrestation. Post-mortem, l’appel de Cassie à la police et à la justice est enfin entendu et, contrairement à ce qui s’était passé pour Nina, ces institutions se montrent fiables, dignes de confiance.

Pour autant, le film souligne à quel point cette confiance doit être relative pour ne pas être déçu et à quel point, loin de « s’en remettre à la justice » et la « laisser faire son travail » comme on l’entend trop souvent, il est nécessaire de lui mâcher le travail et de veiller au grain. En appeler à la justice n’implique pas de renoncer à l’action militante. Par ces actions combinées, Al est arrêté et va devoir répondre de ses actes devant la justice.

Certes, ce dénouement n’est pas réaliste au vu des statistiques. Il faut dire qu’en l’occurrence, il ne s’agit plus seulement de viol mais de meurtre, et c’est pour ce crime-là qu’Al est arrêté. Surtout, ce dénouement permet au spectateur de repartir avec une touche d’espoir, sur un plan en tout cas. Car le film a un dernier twist en réserve. S’il clôt la quête de justice/vengeance en tranchant au bénéfice de l’idéal de justice, il ne s’arrête pas là. La victoire a un goût amer, puisqu’elle a pour prix la mort de l’héroïne.

Et surtout, le film s’achève sur un autre plan, celui de la quête de réparation. Si ces choix ont fait l’objet des plus vives critiques, c’est à mon sens précisément pour ces raisons que Promising young woman propose un récit particulièrement libérateur pour les victimes de violences sexuelles. La construction du film suggère que la réparation, en tant que vécu interne, n’est jamais soluble dans le fait d’obtenir justice, et que le récit d’empouvoirement n’est pas forcément la seule forme de libération, ni même une forme forcément libératrice. Enfin, le film préserve une forme de pudeur quant aux motivations du geste ultime de son personnage, qu’il inclut dans le cercle des victimes autant que des combattantes luttant contre les violences sexuelles.

Le viol est rendu possible par la culture du viol et du silence, par le boys’ club. Si on accepte de reconnaitre la dimension systémique des agressions et violences sexistes et sexuelles, il faut admettre aussi que personne n’est à l’extérieur de cette scène, côté agresseurs, et côté victimes. Cassie n’est pas seulement une amie ou une alliée envahissante, qui peine à faire le deuil de sa BFF. Elle est une victime, elle aussi. Pas de la même façon que Nina, certes. Elle n’a pas été violée. Mais elle aussi est traumatisée, parce qu’elle aussi a subi l’impunité et la silenciation. Le préjudice spécifique qu’elle subit tient justement au fait qu’elle n’est pas reconnue comme une victime légitime, y compris à ses propres yeux. Opérer ces changements de cadrage des récits sur les violences sexuelles est d’une importance politique cruciale, et c’est pour cela que le film Promising Young Woman est si important.

Promising Young Woman, Emerald Fennel (réal.), 2021. Oscar du meilleur scénario original.


[1] Je remercie Maxime Cervulle pour la découverte de ce film et pour nos échanges à son sujet et je remercie Gaëlle Marti pour sa relecture précieuse.

[2] Cinq nominations aux Oscars dans les catégories meilleur film, meilleure réalisation, meilleur scénario original, meilleure actrice et meilleur montage, et cinq nominations aux Golden Globes, dans les catégories meilleur film dramatique, meilleure actrice dramatique, meilleure mise en scène et meilleur scénario original.

[3] « Comes a delicious new take on revenge » dans la version originale.

[4] Sur le « régime des représentations », voir Stuart Hall, Identités et cultures. Politiques des Cultural Studies, traduction Maxime Cervulle, Paris, Éditions Amsterdam, 2007.

[5] Groupe d’artistes féministes fondé à New York en 1985.

[6] « Stone cold sober ». Formule employée par Dana Stevens, Slate podcast, 24 février 2021.

[7] Julia R. Lippman, I did it because I never stopped loving you. The Effects of Media Portrayals of Persistent Pursuit on Beliefs About Stalking, Communication Research, Volume 45 Issue 3, April 2018, p. 394–421.

[8] Dana Stevens, op. cit.

[9] Dans Captain America : Civil War (Anthony and Joe Russo, 2016).

[10] Environ 16% des femmes déclarent avoir été victimes de viols ou de tentatives de viols, entre 10 et 20% des victimes portent plainte et seules 10% de ces plaintes aboutissent à une condamnation devant la cour d’assises. Source : chiffres des enquêtes « Virage » (Violences et rapports de genre), « Contexte de la sexualité en France » synthétisés dans « Combien y a-t-il de viols chaque année ? Combien de plaintes ? Combien de condamnations ? », service Checknews, Libération, 8 février 2019.

[11] Michel Foucault, Dits et écrits (1954-1988), tome II (1976-1988), Paris, Gallimard, texte n°206, 2001, p. 302.

[12] Samantha Stark, Framing Britney Spears, épisode 6, New York Times, 5 février 2021.

Bérénice Hamidi

Sociologue du théâtre, professeure en études théâtrales à l'Université Lyon 2 et membre de l'Institut Universitaire de France

Mots-clés

Féminisme

Notes

[1] Je remercie Maxime Cervulle pour la découverte de ce film et pour nos échanges à son sujet et je remercie Gaëlle Marti pour sa relecture précieuse.

[2] Cinq nominations aux Oscars dans les catégories meilleur film, meilleure réalisation, meilleur scénario original, meilleure actrice et meilleur montage, et cinq nominations aux Golden Globes, dans les catégories meilleur film dramatique, meilleure actrice dramatique, meilleure mise en scène et meilleur scénario original.

[3] « Comes a delicious new take on revenge » dans la version originale.

[4] Sur le « régime des représentations », voir Stuart Hall, Identités et cultures. Politiques des Cultural Studies, traduction Maxime Cervulle, Paris, Éditions Amsterdam, 2007.

[5] Groupe d’artistes féministes fondé à New York en 1985.

[6] « Stone cold sober ». Formule employée par Dana Stevens, Slate podcast, 24 février 2021.

[7] Julia R. Lippman, I did it because I never stopped loving you. The Effects of Media Portrayals of Persistent Pursuit on Beliefs About Stalking, Communication Research, Volume 45 Issue 3, April 2018, p. 394–421.

[8] Dana Stevens, op. cit.

[9] Dans Captain America : Civil War (Anthony and Joe Russo, 2016).

[10] Environ 16% des femmes déclarent avoir été victimes de viols ou de tentatives de viols, entre 10 et 20% des victimes portent plainte et seules 10% de ces plaintes aboutissent à une condamnation devant la cour d’assises. Source : chiffres des enquêtes « Virage » (Violences et rapports de genre), « Contexte de la sexualité en France » synthétisés dans « Combien y a-t-il de viols chaque année ? Combien de plaintes ? Combien de condamnations ? », service Checknews, Libération, 8 février 2019.

[11] Michel Foucault, Dits et écrits (1954-1988), tome II (1976-1988), Paris, Gallimard, texte n°206, 2001, p. 302.

[12] Samantha Stark, Framing Britney Spears, épisode 6, New York Times, 5 février 2021.