Documentaire

L’œuvre manquante – sur The Painter and the Thief de Benjamin Ree

Critique

Dans sa quête déterminée à retrouver les deux toiles qui lui ont été volées dans une galerie norvégienne, une jeune peintre tchèque va trouver autre chose : un alter ego, une âme tourmentée qui a choisi la drogue plutôt que l’art. Un homme qui n’est d’autre que son voleur. Sous la caméra discrète du réalisateur de cet incroyable film documentaire, c’est une amitié exceptionnelle qui se crée et culmine dans la naissance d’une nouvelle œuvre d’art.

Considérons que l’œuvre d’art est chose fuyante ; qu’elle est toujours sur le point de disparaitre, en attente de retourner au néant dont elle provient.

The Painter and the Thief, documentaire du réalisateur norvégien Benjamin Ree, primé à Sundance, nommé aux Oscars 2021, raconte la relation, aussi unique qu’inattendue, entre une artiste et son voleur, après le larcin par ce dernier de deux de ses tableaux. Récit d’évènements réels aux rebondissements qu’on croirait inventés, ce fascinant documentaire peut aussi être vu comme l’incarnation d’une métaphore sur la création, où la disparition de l’œuvre – appelons-la l’image manquante – figure et fonde la condition de l’œuvre.

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Au départ, il y a un fait divers presque banal : en plein jour, deux voleurs s’introduisent dans la galerie Nobel, où expose la peintre tchèque Barbora Kysilkova, à Oslo, en Norvège, et dérobent méticuleusement deux de ses toiles les plus remarquables. Les images d’archives des caméras de surveillance de la galerie montrent la nonchalance stupéfiante des voleurs, clope au bec, toiles roulées sous le bras.

L’évènement advient lorsque, tel un renversement du cours normal des choses, l’artiste exprime le désir de rencontrer ses voleurs, et propose, à l’occasion du procès de l’un d’entre eux, Karl-Bertil Nordland, junkie escroc à la dérive et au corps émacié recouvert de tatouages, de le peindre. L’expérience initiale de dépossession vécue par l’artiste engage alors sa métamorphose ; leur rencontre donne naissance à un lien hors-norme, irréductible à toute catégorie existante, quelque part entre une amitié des abimés et l’ambiguë fascination de l’artiste pour son sujet.

Si le film accompagne l’artiste dans la recherche obstinée de ses toiles, son sujet est ailleurs. C’est le motif bien connu de la perte, de la recherche inlassable à laquelle elle donne lieu, et finalement de l’abandon, ou presque, de la quête au profit de ce qui se crée de neuf à travers elle : ici, l’improbable collusion d