Chère Annie Le Brun
Chère Annie Le Brun,
Pourquoi choisir la forme de la lettre ouverte pour inviter à lire Ce qui n’a pas de prix, votre essai le plus récent ? Sans doute parce que nous nous connaissons depuis quelques années – et d’abord par l’intermédiaire de nos livres. Ensuite parce qu’au travers de tous vos essais, vous instaurez entre les actes de penser et de désirer ce rapport organique que vous avez su identifier comme la marque du génie de Sade. Or en plaçant la philosophie dans le boudoir, vous êtes conduite à employer un je qu’on aurait tort d’assimiler trop vite à l’expression d’opinions individuelles ; ce qui incite votre lecteur à vous répondre, à son tour, à la première personne (comme dit la grammaire). Tant il est vrai qu’un bon livre ne s’adresse pas à tout le monde, ni même à chacun, mais à ce qui en lui constitue la pointe extrême de sa singularité.
J’insèrerai donc ici, en italiques, des « choses vues », comme disait un auteur que nous aimons, et qui me paraissent faire écho aux analyses de Ce qui n’a pas de prix.
Pendant trois jours, place de la République, dans le cadre d’une manifestation intitulée BiodiversiTerre, un de ces artistes que l’on dit contemporains vient d’exposer, entre autres choses, un dauphin constitué de bouteilles en plastique de sept mètres de long. Il s’agit cette fois de sensibiliser, déclare l’installateur stipendié qui avait déjà végétalisé les Champs-Elysées et planté des millions d’épis de blé pour Chanel place Vendôme, les populations des quartiers plus populaires. Les passants photographient consciencieusement le dauphin avec leur téléphone portable, partagés entre amusement et macération éco-responsable.
Votre essai est l’un des premiers, à ma connaissance, à décrire adéquatement les rapports de collusion entre le stade actuel du capitalisme et cet art qui se dit, se répète, s’autoproclame contemporain [1]. Car si les dénonciations de cet art-là ne manquent pas, elles sont souvent ou bien partielles, ou bien animées par u