Poème

L’œil indocile

Écrivaine

Prenant place dans une recherche sur la perception et les émotions animales, le poème en prose de Charlotte Bonnefon, étudiante du master Écopoétique et Création de l’université d’Aix-Marseille, se penche sur le regard. Ou peut-être plus précisément les yeux. Il s’agit moins de l’effet de l’image sur le regardant que de la vue comme sensation. Et par elle de la réaction, sur le qui-vive, à ce qui nous environne.

Je ne vois que d’un point mais suis regardé de partout.
Jacques Lacan
L’enfant, à supposer que ce soit lui, regarde. Ou bien, peut-être, a regardé. Ce qu’il voit néanmoins, ce qu’il a vu, nul ne le saura jamais, pas même lui qui l’aura d’avance oublié mais ne cessera d’affirmer en avoir gardé l’immémoriale mémoire : l’arrivée de rien à ce rivage sans bord. Douceur et douleur, ensemble.
Philippe Lacoue-Labarthe

 

Cachés dans la pénombre du feuillage, ils observent immobiles le terrain vague. Les yeux vont par deux. Les cellules absorbent les paillettes de lumière qui volent dans la trouée, séquencent chaque particule de chaleur et réajustent la zone centrale du regard sur les facettes de peau se recomposant sans cesse à travers le flux du sang et la matière qui palpite.

 

Ses paupières s’ouvrent et se ferment sur les stries vertes. Elle respire la montée de la sève, l’odeur de la terre chaude sur son corps. Le bruissement du vent accélère son rythme cardiaque. D’un mouvement rapide des muscles des membres inférieurs, elle se redresse. Ses yeux émergent, sa peau capture la houle du vent sur la mer d’herbes immenses. Elle s’immobilise. Son cœur bat légèrement plus vite. Trois respirations en attente, puis plus rien – et son poids se rééquilibre sur son flanc. Immergée.

 

Quelque chose respire.

 

Elle se redresse à nouveau. La lisière des arbres trace un cercle lointain. Elle cherche sans voir.

 

Les corps muets masquent et prolongent l’espace invisible de la forêt dont l’obscurité chaude ravive la noire découpe. Les yeux fixés sur elle, créent l’illusion de feuilles jaunies et immobiles dans le souffle du vent.

 

Quelque chose en elle vibre. Une interrogation dans laquelle aucun mot ne s’articule, aucune réponse ne se construit. Une indécision qui ouvre sur une esquive ou un face à face. La sensation d’un danger latent sillonne sa peau de légères secousses. Elle, immobile – respiration en attente, puis plus rien. Le cristal contenu dans les deux amandes blanches de se


Charlotte Bonnefon

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