Culture

Gallimard rachète Minuit : la dernière heure des « éditeurs gentlemen »

Historien

Le rachat par Gallimard des éditions de Minuit met fin à 80 ans d’indépendance d’une maison d’édition au catalogue prestigieux, véritable passeuse du Nouveau Roman et éditrice de collections et de revues de sciences humaines et sociales audacieuses. Minuit était un modèle de relations entretenues par les éditeurs avec les auteurs et, surtout, les libraires, bien loin des entreprises de communication que sont en train de bâtir les actionnaires du marché de l’édition.

L’annonce par Antoine Gallimard, président de Madrigall, et Irène Lindon, mercredi 22 juin, du rachat des Éditions de Minuit, a retenti comme un coup de tonnerre. À la différence du passage des Éditions Christian Bourgois sous la tutelle du fonds d’investissement d’Olivier Mitterrand en 2019, qui avait octroyé une sorte de délai de grâce à l’héritière, Dominique Bourgois – avant de l’évincer brutalement, quelques semaines plus tard, et de la remplacer par Frédéric Mitterand à la tête de l’entreprise créée par son mari–, Irène Lindon qui avait succédé à son père en 2001 a aussitôt cédé la place à Thomas Simonnet, le nouveau directeur éditorial.

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Quand on évoque ces deux figures tutélaires de l’édition française des années 1960-2000, Jérôme Lindon et Christian Bourgois, on voit aussitôt surgir deux « éditeurs gentlemen », comme on dit en Grande-Bretagne lorsque l’on veut parler d’un monde disparu, d’un continent englouti, l’époque où Harold Macmillan, héritier d’une des plus belles maisons d’édition londoniennes, était en même temps Premier Ministre de sa Majesté. Conservateur, il s’illustra en refusant de vendre à l’encan les entreprises nationalisées en 1945 parce qu’à ses yeux ce geste aurait ressemblé à la vente de l’argenterie par une famille endettée. On sait que Margaret Thatcher, l’épicière qui occupa le même poste vingt ans plus tard, n’eut pas ces scrupules et vendit au plus offrant les joyaux dont son pays avait hérité au temps où les travaillistes croyaient aux vertus de l’État providence.

Jérôme Lindon, passé par la résistance armée à l’Occupant avant de rejoindre Jean Bruller (Vercors) à la direction des Éditions de Minuit, incarnait cet esprit militant pour qui l’édition était un combat permanent pour faire connaître les auteurs en qui il croyait, les livres qu’il estimait dignes de porter les couleurs d’une maison née dans la nuit de l’Occupation. La marche à l’étoile, titre d’une nouvelle de Vercors, aurait pu résumer son idéal de vie. Son lo


 

Jean-Yves Mollier

Historien

Notes