Rediffusion

« Croyez vos yeux » – de Rodney King à George Floyd

Maîtresse de conférence en information et communication

Les jurés de la Cour de Minneapolis ont rendu leur verdict le mardi 20 avril 2021 et reconnu le policier Derek Chauvin responsable du meurtre de Georges Floyd. Comme pour l’affaire Rodney King trente ans plus tôt, les vidéos ont été une pièce centrale du procès. Chaque seconde, chaque geste ont été scrutés, décortiqués, de manière à y attraper et à faire parler les signes. Dans le déroulement de ces deux procès, c’est le statut de l’image dans la démonstration, les contours de ce qui « fait preuve » qui sont en jeu. Rediffusion du 22 avril 2021

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«Croyez vos yeux. Ce que vous avez, vous l’avez vu.» C’est par ces mots que Steve Schleicher, le procureur au procès de Derek Chauvin, le policier à l’origine de la mort de George Floyd, a conclu son réquisitoire lundi 19 avril 2021. Le jury populaire s’est depuis prononcé (le 20 avril autour de 23 heures, heure française) et a retenu Derek Chauvin coupable des trois chefs d’inculpation (meurtre, violences volontaires ayant entraîné la mort et homicide involontaire).

C’est peu dire que ce verdict était attendu. Devant l’éventualité d’un verdict favorable à Chauvin et d’une réaction émeutière, la ville de Minneapolis a été déclarée peacetime emergency, une forme d’état d’urgence pour lequel les policiers des États voisins sont réquisitionnables à tout instant : 3 000 soldats de la garde nationale ont été mobilisés, de nombreux commerces ont baissé leur rideau et tout le pays est resté suspendu à ce procès, diffusé en direct à la télévision pendant 14 jours.

Par bien des aspects, ce procès historique rappelle celui de « l’affaire Rodney King », une des premières affaires de violences policières dans laquelle l’image vidéo a joué un rôle déterminant aux États-Unis. À trente ans de différence quasi jour pour jour, les conditions pour lesquelles des images peuvent « faire preuve » semblent être mises en jeu dans des termes similaires. Face à l’évidence de l’inégalité raciale face à la violence policière, ce procès renouvelle la question posée par Judith Butler [1] : « Dans quelle mesure le racisme interprète-t-il par avance toute “preuve visuelle” ? »

Rodney King

Le 3 mars 1991, Rodney King était roué de coups sur le bitume d’une route de Los Angeles. Le violent passage à tabac de cet afro-américain par quatre policiers de Los Angeles fut filmé par un voisin, Georges Holliday, qui enregistra la scène avec son petit camescope depuis son balcon. La vidéo qu’il remit à KTLA, télévision locale de Los Angeles, circula rapidement jusqu’à la jeune CNN (créée en 1985,


[1] Judith Butler, « Endangered/Endangering: Schematic Racism and White Paranoia », in Robert Gooding-Williams (ed.), Reading Rodney King, Reading urban uprising, 1993, p.15.

[2] Deux heures à peine après l’annonce de l’acquittement de tous les policiers éclataient ainsi les plus grandes émeutes qu’ait connu Los Angeles, durant plus de six jours, faisant des dizaines de morts et de blessés et conduisant à la destruction d’un peu plus d’un millier de bâtiments.

[3] Elle précise dans une note : « Le terme de “paranoïa des Blancs” ne décrit d’aucune façon ni de manière totalisante “comment les Blancs voient le monde” ; je l’utilise ici comme hyperbole théorique afin de servir de point d’appui pour une contre-lecture offensive. »

[4] Qui donnera l’occasion au procureur d’une formule particulièrement bien trouvée dans sa plaidoirie finale : « Ce n’est pas le cœur de George Floyd qui était trop gros mais celui de Derek Chauvin qui était trop petit. »

Ulrike Lune Riboni

Maîtresse de conférence en information et communication

Notes

[1] Judith Butler, « Endangered/Endangering: Schematic Racism and White Paranoia », in Robert Gooding-Williams (ed.), Reading Rodney King, Reading urban uprising, 1993, p.15.

[2] Deux heures à peine après l’annonce de l’acquittement de tous les policiers éclataient ainsi les plus grandes émeutes qu’ait connu Los Angeles, durant plus de six jours, faisant des dizaines de morts et de blessés et conduisant à la destruction d’un peu plus d’un millier de bâtiments.

[3] Elle précise dans une note : « Le terme de “paranoïa des Blancs” ne décrit d’aucune façon ni de manière totalisante “comment les Blancs voient le monde” ; je l’utilise ici comme hyperbole théorique afin de servir de point d’appui pour une contre-lecture offensive. »

[4] Qui donnera l’occasion au procureur d’une formule particulièrement bien trouvée dans sa plaidoirie finale : « Ce n’est pas le cœur de George Floyd qui était trop gros mais celui de Derek Chauvin qui était trop petit. »