Société

Un soupçon de vérité

Linguiste

« Véritable accélérateur », « réel vecteur d’insertion », « authentique contrôle parlementaire », « vrai débat démocratique »… Des communiqués de presse du Gouvernement aux rapports de l’Institut Montaigne, la vérité est convoquée comme outil rhétorique pour redéfinir ad libitum les termes du débat public. Ce nouveau régime du « vrai », imposant l’ethos et la position sociale de celui qui prend la parole publiquement comme principaux gages de véracité, contrevient à la sincérité de la controverse démocratique.

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À la faveur de l’enseignement « distanciel » de ces derniers mois, le gouvernement a relancé cette année l’idée des « campus connectés », des annexes des universités déployées en milieu semi-rural pour accueillir les néo-bacheliers sans augmenter les capacités des campus préexistants. Un appel à projets a été lancé, à l’issue duquel le gouvernement a publié un bref communiqué de presse dans lequel l’adjectif « véritable » apparaissait à trois reprises pour qualifier ce que les opposants à l’opération nommeraient sans doute des mirages : les campus connectés seraient de « véritables tiers-lieux de l’enseignement supérieur, innovants et collaboratifs » ainsi que de « véritables lieux de lien social dans les territoires enclavés. » Loin du scepticisme de certains observateurs, le gouvernement assure que « l’appel à projets a suscité un véritable intérêt ».

Les communiqués de presse gouvernementaux se montrent friands de cet adjectif. « Avec Treegram [un logiciel de gestion], une véritable optimisation des projets devient possible », lisait-on le 9 novembre dernier. Les stages étudiants, d’après un communiqué du 18 février, sont de « véritables portes d’entrée vers le marché du travail ».

Une véritable vogue

Mais le gouvernement n’a pas le monopole de cet usage. Ainsi, les rapports de l’Institut Montaigne fourmillent de semblables « véritables » : véritable politique, véritable mobilisation, véritable révolution culturelle… Un rapport sur « l’innovation en santé » appelait ainsi à de « véritables transformations structurelles », mais aussi à « créer une véritable filière [de l’innovation santé] qui soit visible et attractive à l’international » et à réformer l’Assurance maladie pour qu’elle « revête une véritable dimension de santé publique ». Ce printemps, un rapport sur l’enseignement supérieur et la recherche se félicitait du « véritable appel d’air » des financements européens, qualifiés de « véritables accélérateurs ». Dans la foulée, le rapport demande d


[1] Oswald Ducrot, Les Mots du discours, Les Éditions de Minuit, 1980, 240 pages.

Pierre-Yves Modicom

Linguiste, Professeur à l'Université Lyon 3 Jean Moulin

Notes

[1] Oswald Ducrot, Les Mots du discours, Les Éditions de Minuit, 1980, 240 pages.