Société

Les minima de la vital-démocratie : une orientation politique

Philosophe

Les mesures publiques qui ont été prises pour lutter contre la pandémie tendent à mettre en lumière une forme de tension qui existerait entre les urgences vitales et les exigences politiques et démocratiques de nos sociétés. Mais à considérer qu’en protégeant la vie, on porte atteinte à la démocratie, on se la représente comme un régime qui serait établi une fois pour toutes, alors qu’il s’agit plutôt de comprendre comment la démocratie a procédé jusqu’ici pour progresser concrètement et comment elle peut encore le faire pour lutter contre les défis du présent.

Il semble y avoir aujourd’hui un nouveau problème qui peut se résumer d’un mot : une tension, entre la vie et la politique, qui définirait le moment présent. Il est vrai que l’on est tiraillé entre les deux. D’un côté la politique ne s’occupe pas assez de « la vie » : ne devrait-elle pas être, sous le signe du climat, notre préoccupation globale ? Mais, d’un autre côté, la politique est envahie et menacée par « la vie » : les mesures de santé publique prises pendant la pandémie n’ont-elles pas fragilisé les libertés publiques, comme c’est toujours le cas de la sécurité et de l’urgence invoquées aussi face aux autres dangers vitaux ? 

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Oui, il y a quelque chose de nouveau, et c’est bien le problème principal du moment. Mais ce problème n’est pas nouveau dans sa nature. La tension entre vie et justice n’est, comme telle, pas nouvelle. C’est au contraire le problème principal de la politique, celui qui, en réalité, la définit. Ne croyez pas ceux qui vous disent le contraire. Cela ne veut pas dire que ce problème soit réglé – au contraire, puisqu’il est plus profond qu’on ne le croit – mais cela veut dire que sa nouveauté est ailleurs, et que, si des solutions existaient déjà, il faudrait les renouveler en profondeur.

Mais si ce n’est pas dans la nature du problème, où est la nouveauté du présent ? C’est simple : dans une intensité nouvelle et critique des tensions entre vie et justice. Et si des solutions, même précaires et à renouveler en profondeur, existaient déjà, quelles sont-elles ? Ce sont, selon nous, celles de la démocratie, et même de la « social-démocratie ». Mais il faut les renouveler, à travers ce que l’on appellera ici la vital-démocratie.

Il y a là un paradoxe. Car nous soutiendrons que la démocratie, et la social-démocratie, loin d’être ou d’avoir été complètes et parfaites (où que ce soit), se sont définies plutôt partiellement, toujours à travers des premiers paliers, des degrés, des minima – bien partiels en effet – de justice.

Mais c’est


[1] Cet article reprend dans un essai de synthèse nouvelle des remarques dont certains éléments se trouvent dans Les maladies chroniques de la démocratie (DDB, 2017, 2e édition 2020), Pour un humanisme vital. Lettres sur la vie, la mort et le moment présent (Odile Jacob, 2019) et Vivre en temps réel (Bayard, 2021), ainsi que dans Judith Butler et Frédéric Worms, Le vivable et l’invivable (PUF, Questions de soin, 2021).

Frédéric Worms

Philosophe, Professeur de philosophie contemporaine à l’École Normale Supérieure, directeur adjoint du département des Lettres

Mots-clés

ClimatCovid-19

Notes

[1] Cet article reprend dans un essai de synthèse nouvelle des remarques dont certains éléments se trouvent dans Les maladies chroniques de la démocratie (DDB, 2017, 2e édition 2020), Pour un humanisme vital. Lettres sur la vie, la mort et le moment présent (Odile Jacob, 2019) et Vivre en temps réel (Bayard, 2021), ainsi que dans Judith Butler et Frédéric Worms, Le vivable et l’invivable (PUF, Questions de soin, 2021).