Retour sur un emballage : ce que Christo et Jeanne-Claude ont vraiment fait à l’Arc de Triomphe
On connaît la célèbre proposition que fit Joseph Beuys dans le programme du Festival der Neuen Kunst : « Beuys recommande qu’on surélève le mur de Berlin de 5 cm (meilleure proportion) ! » Nous étions en juillet 1964, un peu moins de trois ans après le début de la construction du mur. Dans un rapport adressé deux semaines plus tard au ministre de l’Intérieur du Land de Rhénanie-du-Nord- Westphalie, il ajoutait : « L’observation du mur de Berlin devrait être permise d’un point de vue ne prenant en compte que les proportions de cet édifice. Désamorcé aussitôt, le mur. Par un éclat de rire intérieur. Détruit, le mur[1]. »

La force de cette action tenait à sa simplicité : elle n’exigeait rien d’autre qu’une conversion du regard. Si, nous dit Beuys, vous parvenez à contempler le mur non comme une frontière mais comme un élément architectural parmi d’autres, dont on est en droit d’attendre qu’il soit construit selon les règles de l’art, vous en changerez le sens. De symbole de la guerre froide, il se transformera en incarnation du beau académique. Plutôt que de chercher à l’abattre, resymbolisez-le.
Difficile, en contemplant l’Arc de Triomphe emballé par Christo et Jeanne-Claude, de ne pas songer à cette action de Joseph Beuys. Recouvert de cet immense drap gris, le monument perd l’essentiel de son contenu symbolique. Inscriptions, frises et groupes sculptés disparaissant sous l’opacité argentée, l’Arc n’offre plus au regard que son volume et sa forme.
« Ne brisez pas, emballez. »
Cet effacement ne le prive cependant pas de toute puissance symbolique. Pour reprendre les concepts du philosophe américain Nelson Goodman, auteur d’une célèbre théorie esthétique, l’Arc cesse de représenter l’épopée de la Grande Armée, mais non d’exemplifier ses qualités formelles, comme les proportions de son architecture. Il suffit d’un voile pour transformer une œuvre massivement académique – le programme des frises et sculptures fut entrepris sous la Restauration et achevé sous Lo