Théâtre total – sur Aucune idée de Christoph Marthaler
Un homme entre sur le plateau avec une viole de gambe, s’assied devant un pupitre, pose un magnétophone devant lui, le met en route et commence à jouer. On reconnaît au bout de quelque notes le début du Prélude de Tristan und Isolde. Après la deuxième répétition du motif initial et sa lente distension dans les aigus que la viole a quelque peine à articuler, on entend la musique de Wagner sortir du magnétophone et emplir progressivement la salle. Le musicien continue de jouer mais il est désormais couvert par l’orchestre.

On comprend alors ce qu’il était en train de faire depuis le début, ce dont au fond il sera question sous une forme ou sous une autre pendant tout le spectacle : doubler Tristan und Isolde, suivre au plus près la courbe de ses motifs avec l’instrument le plus léger et dansant qui soit, faire passer la richesse et la puissance de son orchestre dans la vivacité douce de la viole. L’entreprise est merveilleusement vaine mais elle énonce en quelques gestes ce qui sous-tendra la plupart des actions des deux personnages : avec ce qu’on a sous la main, avec ce qui arrive et qu’on ne pouvait prévoir, avec les bruits ambiants, les lettres qu’on reçoit ou les prospectus qui s’entassent, avec des mots empruntés et des airs qu’on chante parce qu’ils nous passent par la tête, avec tout cela fabriquer une œuvre d’art totale.
Dans un ouvrage paru en 2000, Graham F. Valentine écrivait : « Chez Christoph, la notion de chef-d’œuvre total est fondamentale. » [1] Graham F. Valentine est le deuxième personnage de la pièce et un des compagnons de route de Christoph Marthaler depuis ses débuts. Le premier est Martin Zeller, joueur de viole de gambe et musicien accompli. Aucune idée (comme la plupart des spectacles de Marthaler) réunit en effet tous les éléments de l’œuvre d’art totale : la musique (instrumentale et vocale), la parole (dialogue et soliloque), la scénographie (que signe ici Duri Bischoff) et la performance (vocale et physique) – Graham F. Valenti