Nouvelle

À qui le tour ?

Écrivain

Fin de quinquennat. Le président de la République, interviewé à la télévision, annonce de but en blanc qu’il ne postule pas à sa réélection et quitte le plateau. Coup de bluff ? Piège ? Le problème ne s’arrête pas là et la situation s’aggrave avec la non-candidature des ténors de tous bords. « Une élection sans candidat, ce serait drôle tout de même. — Drôle peut-être, et surtout : tragique. » Et si, au final, il n’y avait qu’un seul candidat ? Une nouvelle inédite de politique-fiction qui n’oublie pas d’embarquer les médias dans l’affaire.

 

1.

— On n’a aucun indice ?

— Non, rien. Mutisme complet. Même son état-major rapproché n’est pas au courant.

— C’est toujours ce qu’ils disent.

— Cette fois, ça a l’air vrai.

— Bon. Il est arrivé ?

Les écrans ouvrent sur le vide habituel du grand hall d’accueil. Quelques rares silhouettes amincies par la caméra traversent de temps en temps le vaste espace. Le directeur de la rédaction s’y attarde d’un regard rêveur, puis il glisse vers la très large baie vitrée qui donne sur le fleuve, il préférait la vue depuis le septième étage, dans l’ancien studio, mais même ici, du quatrième, avec le sobre décor qui se reflète dans les vitres et se mélange au cours tranquille de l’eau et, plus rapide, des voitures qui la longent, il se sent vivre dans un monde qui compte, un monde effervescent, cette magie de la grande ville, de la capitale, qui l’a attiré au terme de ses études, des études confortables, douillettes, dans un très bon établissement de province, et pas n’importe quelle province, ni n’importe quelle ville.

À la réflexion, il n’est pas certain que son fils soit aussi heureux que lui-même l’a été. « Je ne laisserai personne dire… » Bien sûr, il n’a pas de souci financier, tout lui est payé, et hormis quelques remarques sur des livraisons de repas ou des déplacements pas vraiment indispensables en VTT ou en taxi d’abonnement, il jouit d’un confort supérieur à ce que fut le sien. C’est que son père n’avait pas les mêmes moyens. Ni la même notoriété. Tant s’en faut. Mais il y avait une douceur de vivre, une insouciance, une assurance dans un avenir prometteur, alors que Mathias semble angoissé parfois, sans raison objective, une angoisse profonde, inexplicable, viscérale. Ça se voit, se lit sur son visage.

Les années défilent dans sa tête, le master, les formations à l’étranger, sa rencontre avec Nicole, l’enfant tant attendu, désespérément attendu même, la radio, puis ici, presque trente ans de carrière, de fidélité, une ascension lente mais continue, cette campagne


Bernard Comment

Écrivain, Éditeur

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