Pour une réécriture de l’état d’urgence

Juriste

Alors que le Conseil constitutionnel vient de valider l’essentiel de la loi instituant un passe vaccinal, il nous faut nous interroger sur la manière dont l’exécutif fait et défait le droit dans l’urgence. Malgré les risques qu’impliquerait une constitutionnalisation des états d’exception, celle-ci permettrait de conditionner leur mise en œuvre à un large consensus politique, là où le vide laissé par la Constitution de la Ve République permet d’y recourir à chaque situation de crise.

La loi du 10 novembre 2021 a prolongé jusqu’au 31 juillet prochain le régime « provisoire » dit de « sortie d’état d’urgence sanitaire ». C’est la cinquième fois en un peu moins de deux ans que les parlementaires entérinent la décision du gouvernement, avec la caution du Conseil constitutionnel. Celui-ci a retoqué quelques rares mesures – celle, par exemple, permettant aux directeurs d’établissements scolaires d’avoir accès aux informations médicales des élèves et de les « traiter » sans devoir obtenir préalablement leur consentement[1] – mais il n’a jamais remis en cause le principe même du recours à un régime d’exception, ni la possibilité de le proroger indéfiniment.

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Les noms donnés aux textes ne doivent pas nous leurrer. Qu’il s’agisse de lois « prorogeant » l’état d’urgence ou de celles « organisant » sa « sortie », le régime et ses modalités d’application demeurent inchangés. Nous vivons en état d’urgence sanitaire permanent depuis le 23 mars 2020, de même que nous avons vécu en état d’urgence sécuritaire – dont de nombreuses mesures ont finalement été intégrées au droit commun – entre 2015 et 2017. Et puisqu’il n’existe aucun garde-fou institutionnel, rien n’indique que nous en sortirons en juillet 2022, à moins que la majorité issue des prochaines élections générales ne le décide. Mais dans un contexte de regain de l’épidémie et de pré-campagne électorale focalisée sur les questions d’identité et de sécurité, rien n’est moins sûr.

La crise que nous traversons doit nous faire réfléchir à la manière dont l’exécutif fait et défait le droit dans l’urgence, en quelques jours à peine. Certains diront que cela est nécessaire, d’autres que cela est même salutaire au nom du droit à la santé – que le Conseil constitutionnel a érigé en objectif à valeur constitutionnelle[2]. Mais tout cela est dangereux pour l’État de droit, dont l’érosion s’est accélérée à une vitesse inouïe ces vingt dernières années. Pour réfréner le phénomène, quoi de mieux que de réforme


[1] Cons. constit., décision n°2021-828 DC du 9 novembre 2021, Loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, § 41.

[2] Cons. constit., décision n°2020-800 DC du 11 mai 2020, Loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, § 16.

[3] Cons. constit., décision n°2015-527 QPC du 22 décembre 2015, Monsieur Cédric D, § 6.

[4] Ibid.

[5] Cons. d’État, ord., 22 décembre 2012, n°364584, Section française de l’Observatoire international des prisons, § 6 ; Cons. d’État, ord., 30 juillet 2015, n°392043, Section française de l’Observatoire international des prisons, § 7 ; Cons. d’État, ord., 28 juillet 2017, n°410677, Section française de l’Observatoire international des prisons, § 4.

[6] Id., § 11.

[7] Id., § 8.

[8] J.M.B. c. France, n°9671/15 et al., § 315, 30 janvier 2020.

[9] Conseil d’État, « Un an de recours en justice liés à la Covid-19. Retour en chiffres sur l’activité du Conseil d’État, juge de l’urgence et des libertés », Communiqué de presse, 20 avril 2021.

[10] Id.

[11] Voir par ex. Cons. constit., décision n°2022-835 DC du 21 janvier 2022, Loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique, § 23.

[12] Bruce Ackerman, « Les pouvoirs d’exception à l’âge du terrorisme », trad. fr. de Nathalie Cunnington, Esprit, vol. 75, n°8-9, 2006, p. 158.

[13] Par ex. Cons. constit., décision n°2015-527 QPC du 22 décembre 2015, Monsieur Cédric D, §§ 8-9 ; Cons. constit., décision n°2020-800 DC du 11 mai 2020, Loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, § 17 ; Conseil constit., décision n°2021-828 DC du 9 novembre 2021, Loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, § 5.

Élie Tassel

Juriste

Mots-clés

Covid-19

Notes

[1] Cons. constit., décision n°2021-828 DC du 9 novembre 2021, Loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, § 41.

[2] Cons. constit., décision n°2020-800 DC du 11 mai 2020, Loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, § 16.

[3] Cons. constit., décision n°2015-527 QPC du 22 décembre 2015, Monsieur Cédric D, § 6.

[4] Ibid.

[5] Cons. d’État, ord., 22 décembre 2012, n°364584, Section française de l’Observatoire international des prisons, § 6 ; Cons. d’État, ord., 30 juillet 2015, n°392043, Section française de l’Observatoire international des prisons, § 7 ; Cons. d’État, ord., 28 juillet 2017, n°410677, Section française de l’Observatoire international des prisons, § 4.

[6] Id., § 11.

[7] Id., § 8.

[8] J.M.B. c. France, n°9671/15 et al., § 315, 30 janvier 2020.

[9] Conseil d’État, « Un an de recours en justice liés à la Covid-19. Retour en chiffres sur l’activité du Conseil d’État, juge de l’urgence et des libertés », Communiqué de presse, 20 avril 2021.

[10] Id.

[11] Voir par ex. Cons. constit., décision n°2022-835 DC du 21 janvier 2022, Loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique, § 23.

[12] Bruce Ackerman, « Les pouvoirs d’exception à l’âge du terrorisme », trad. fr. de Nathalie Cunnington, Esprit, vol. 75, n°8-9, 2006, p. 158.

[13] Par ex. Cons. constit., décision n°2015-527 QPC du 22 décembre 2015, Monsieur Cédric D, §§ 8-9 ; Cons. constit., décision n°2020-800 DC du 11 mai 2020, Loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, § 17 ; Conseil constit., décision n°2021-828 DC du 9 novembre 2021, Loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, § 5.