Dé-construire ensemble. édition spéciale Nuit des Idées

Détruire, dit-elle – sur Le cinéma que je fais de Marguerite Duras

Artiste et auteure

Le cinéma que je fais rassemble pour la première fois les écrits de Marguerite Duras au sujet des dix-neuf films qu’elle a réalisé entre 1966 et 1985, ainsi que des entretiens au travers desquels elle évoque son activité de cinéaste. L’ouvrage donne l’occasion de revoir chaque film sous un autre jour, mais aussi de lire ou relire le livre qui en est parfois la matrice, et montre à quel point la pratique cinématographique de Duras était fondée sur son activité d’écriture.

Il y a quelques années, Patrice Rollet m’avait demandé d’écrire sur Les yeux verts de Marguerite Duras pour le centième numéro de Trafic, dont le principe était de ne pas adresser les films eux-mêmes mais des livres éminemment cinématographiques. Réédité ultérieurement sous la forme d’un livre, Les yeux verts avait d’abord été un numéro spécial des Cahiers du Cinéma publié en juin 1980 et conçu par Marguerite Duras avec Serge Daney à un moment où elle ne parvenait plus à écrire.

En relisant Les yeux verts pour écrire à partir de lui, j’avais réalisé au fur et à mesure des pages tournées que je n’y parviendrais pas, tant son « histoire du cinéma » singulièrement durassienne, le montage et la densité de son contenu, formaient un tout à la fois saisissant et absolument insécable, d’emblée fragmenté donc infragmentable. Une ombre interne sobrement mise en page sur laquelle aucun commentaire ni proposition d’interprétation ne me semblaient utiles.

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À la place, j’avais choisi le méconnu Sorting Facts: or Nineteen Ways of Looking at Chris Marker de l’écrivaine et poétesse américaine Susan Howe[1], dont le montage de fragments tour à tour poétiquement personnels et analytiques autour de La Jetée de Chris Marker représentait un autre exemple époustouflant des rapports de l’écriture aux mouvements et temporalités cinématographiques.

C’est le défi relevé par les co-auteurs de cette anthologie : donner aux textes autour du cinéma qu’elle a fait un plein ancrage dans son œuvre d’écrivaine cinéaste.

En me plongeant dans Le cinéma que je fais, publié cet automne aux éditions P.O.L., je ne me suis cette fois pas sentie sans voix face à la formidable complétude de l’œuvre, bien au contraire : l’immersion qu’offre l’ouvrage dans des archives, pour la plupart inédites, entraîne au cœur du travail même du cinéma durassien, au cœur de la pensée de Duras au travail avec lui, mue par son inépuisable croyance en la destruction. Cette destruction dont tant de ses textes et de ses f


[1] HOWE, Susan, Sorting Facts ; or, Nineteen Ways of Looking at Marker, New York, New Directions, 2013. Paru en français sous le titre Deux et aux éditions Théâtre Typographique, 1998.

[2] Ce film n’est pas abordé dans l’ouvrage car il n’a pas été réalisé par Marguerite Duras, mais il est actuellement disponible sur la plateforme Tënk.

[3] Plusieurs ouvrages ont abordé l’influence du cinéma durassien sur les artistes contemporain.e.s, dont la revue Initiales MD d’Emmanuel Tibloux et Claire Moulène pour les Beaux-Arts de Lyon, parue en 2014 et dont le contenu est disponible en ligne. Sans oublier Intempestif, Indépendant, Fragile – Marguerite Duras et le cinéma d’art contemporain de Pascale Cassagnau, disponible aux Presses du Réel.

Marcelline Delbecq

Artiste et auteure

Rayonnages

Cinéma Culture Livres

Notes

[1] HOWE, Susan, Sorting Facts ; or, Nineteen Ways of Looking at Marker, New York, New Directions, 2013. Paru en français sous le titre Deux et aux éditions Théâtre Typographique, 1998.

[2] Ce film n’est pas abordé dans l’ouvrage car il n’a pas été réalisé par Marguerite Duras, mais il est actuellement disponible sur la plateforme Tënk.

[3] Plusieurs ouvrages ont abordé l’influence du cinéma durassien sur les artistes contemporain.e.s, dont la revue Initiales MD d’Emmanuel Tibloux et Claire Moulène pour les Beaux-Arts de Lyon, parue en 2014 et dont le contenu est disponible en ligne. Sans oublier Intempestif, Indépendant, Fragile – Marguerite Duras et le cinéma d’art contemporain de Pascale Cassagnau, disponible aux Presses du Réel.