Pourquoi j’écris
J’ai bien entendu volé le titre de cette intervention, à George Orwell – Why I Write. L’une des raisons pour lesquelles je le lui ai volé, c’est que j’aime le son de ces mots : Why I Write. Vous avez là trois petits mots brefs et dépourvus de toute ambiguïté qui ont une sonorité en commun, et la sonorité qu’ils ont en commun est celle‑ci :
I
I
I
Je.
Par bien des aspects, écrire, c’est l’acte de dire « je », d’imposer sa présence à autrui, de dire écoutez-moi, voyez les choses à ma façon, changez de point de vue. C’est un acte agressif, hostile, même. Vous pouvez déguiser cette agressivité autant que vous voulez en la voilant de propositions subordonnées, de qualificatifs et de subjonctifs précautionneux, d’ellipses et de dérobades – en convoquant tout l’arsenal qui permet d’intimer au lieu d’affirmer, de suggérer au lieu de déclarer –, mais inutile de se raconter des histoires, le fait est que poser des mots sur le papier est une tactique de brute sournoise, une invasion, une manière pour la sensibilité de l’écrivain d’entrer par effraction dans l’espace le plus intime du lecteur.
J’ai volé ce titre non seulement parce que les mots sonnaient juste, mais parce qu’ils me paraissaient résumer, de la façon la plus simple et directe, tout ce que j’ai à vous dire. Comme beaucoup d’écrivains, je n’ai que ce seul « sujet », ce seul « domaine » : l’acte d’écrire. Je ne peux vous livrer le reportage d’aucun autre front. J’ai d’autres centres d’intérêt, sans doute ; je « m’intéresse », par exemple, à la biologie marine, mais je ne me pique pas de croire que vous vous déplaceriez pour m’entendre en parler. Je ne suis pas une érudite. Je ne suis en aucun cas une intellectuelle, ce qui ne veut pas dire que lorsque j’entends le mot « intellectuel » je sors mon revolver, simplement que je ne pense pas en termes abstraits. À l’époque où j’étais étudiante en premier cycle à Berkeley, j’ai essayé, animée par une espèce d’énergie post-adolescente désespérée, de me procurer un visa te