Peut-on encore rire des minorités ?
Peut-on encore rire des minorités ? Cette question est plus délicate qu’il ne semble. Si l’on répond oui, on nous rétorquera que ce rire n’est pas drôle qui renforce une situation de domination sociale et politique, quand il ne contribue pas à la constituer en faisant comme il le fait circuler clichés et préjugés. Si l’on répond non, on nous dira qu’imposer au rire une limitation quelle qu’elle soit est une forme de censure, qu’il faut pouvoir rire de tout et de tous, que l’on mesure la santé d’une société à la liberté de son rire.
Et, de fait, on rit toujours des minorités. L’humoriste française Blanche Gardin s’est récemment livrée à l’exercice dans La Meilleure version de moi-même, une série produite par Canal +, et le dernier spectacle de l’Américain Louis C.K. – Sorry, enregistré en août 2021 au Madison Square Garden de New York – se moque, dans le désordre, des Juifs, des Portoricains, des gays, des transgenres et des femmes noires. J’y reviendrai.

Mais sans doute cette question est-elle mal posée. Ne faudrait-il d’abord s’entendre sur le sens du mot « rire » ? Il y a en effet plusieurs manières de rire des minorités. Une manière qu’on pourrait appeler majoritaire, qui consiste à souligner et à exagérer certains traits minoritaires au nom d’un sens commun supposé partagé par tous les autres, ceux qui ne sont ni gays, ni juifs, ni portoricains, ni noirs, etc. Ce sens est celui qui s’exprime exemplairement dans la connivence qui lie l’humoriste à son audience et qui vient secrètement légitimer les positions depuis lesquelles le rire est possible.
Mais il y a aussi une manière minoritaire, dont l’ambition est au contraire de déconstruire le fait majoritaire en mettant au jour l’écheveau de la domination sociale et la permanence de ses effets. Au sens commun supposément partagé par tous, ces voix opposent leur singularité et, souvent, leur colère. Un bon exemple de rire majoritaire est celui de Louis C.K. ; un bon exemple de rire minoritaire est celui d