Le drop-out
« – Qu’est-ce qui se passe exactement ? je lui demande. Après quoi est-ce que nous courons tout le temps, veux-tu me le dire ? On va d’un patelin à l’autre alors que nous savons qu’ils se ressemblent tous ; on passe d’un boulot à un autre boulot alors qu’on sait qu’ils se valent tous, et qu’ils sont tous dégueulasses.
– Ma foi !… (Il se gratte la tête.) À mon afis,
on cherche pas à troufer, Tillon. On cherche plutôt à pas troufer. »
Des cliques et des cloaques
Jim Thompson
Bien avant que le soleil ne soit levé, dans l’obscurité gris-bleu, il aura moulu son propre assemblage de pures arabicas éthiopien et yéménite, aura porté à ébullition et bu une pleine cafetière à moka, aura coupé en deux et ingurgité un kiwi, beurré quatre biscottes au blé complet, lu les e-mails arrivés pendant la nuit en provenance d’autres fuseaux-horaires que celui du Portugal, parcouru l’édition en ligne du Financial Times et des Échos, effectué deux séries de vingt-cinq pompes et une position de yoga « chien tête en bas ». Il se sera masturbé devant un film pornographique amateur nippon. Il se sera douché nu et à l’eau froide sous un mandarinier, au sein du charmant jardin suspendu au-dessus du Tage qu’il habite avec sa fille et qui se trouve à deux pas de l’Ambassade de France, dans ce quartier ancien aux maisons basses, roses et rouges et bleues et jaunes de l’ouest de Lisbonne, dont la cote immobilière a quadruplé en cinq ans.
Il avait acheté à temps.
Là encore, il avait été en avance.
Il était toujours et systématiquement en avance.
Quand il entra dans sa chambre avec, sur un plateau, un mug de chocolat chaud multivitaminé et un bol de riz soufflé, l’alarme de son réveil en forme de hérisson était tout juste sur le point de se déclencher. Il put l’interrompre à temps. Il voulait l’éveiller la plus doucement du monde. Pour un instant, lors de son approche, dans la pénombre, il avait troqué ses pas sonores pour marcher sur la pointe des pieds. D’un revers de main, avec un mouvement le