Loin des hommes, proches de la nature : les utopies réelles de l’écoféminisme
L’avènement du capitalisme industriel a, dès le départ, suscité des formes de séparatisme, il a engendré la volonté de se réfugier dans des contrées retranchées loin du bruit, de la pollution et du salariat de la vie citadine. L’image traditionnelle que nous avons de ces formes de vie qui s’affirment en rupture avec l’âge industriel est celle de l’homme solitaire qui fuit la civilisation pour méditer et retrouver un rapport plus authentique à la nature : Jean-Jacques Rousseau dans les Rêveries du promeneur solitaire, ou encore Henri David Thoreau dans Walden, ou la vie dans les bois, auxquels font écho les ermites anonymes du XIXe siècle, qui résistent aux maux de la vie moderne en retournant à la vie sauvage[1].

Cette image met en scène un individu masculin qui, seul, entend retrouver le chemin perdu de la nature immaculée pour réfléchir sereinement et transformer son for intérieur. Outre qu’elle repose sur le mythe historiquement construit de la wilderness[2], une telle image se concentre uniquement sur l’individu solitaire coupé de ses semblables, un individu conçu de manière androcentré (il s’agit systématiquement d’un homme) et tourné davantage vers la méditation spirituelle et éthique que vers des activités pratiques et le travail collectif.
L’image du mâle-solitaire-qui-médite-dans-les-bois a cependant été battue en brèche par les pratiques écoféministes qui ont proposé une tout autre conception du « retour à la nature » : une conception dans laquelle ce sont des femmes qui rompent le contact avec la civilisation masculine pour investir une terre, la travailler et y vivre en communauté. Ces pratiques mettent en œuvre concrètement un véritable « féminisme de la subsistance[3] » qui se veut en rupture avec le « capitalisme patriarcal[4] ».
Dans cette perspective, le mythe d’une nature immaculée cède la place à une nature comprise comme partenaire d’interaction, une nature travaillée et transformée collectivement, ce qui rend indissociable le projet ét