International

Sommes-nous en guerre ?

Historienne

Après avoir supplanté la « guerre contre le terrorisme », la « guerre contre la Covid-19 » a été éclipsée par une autre, réelle cette fois, en Ukraine. Cette banalisation de la rhétorique guerrière est symptomatique de notre rapport flou à la guerre et de notre méconnaissance de sa réalité concrète.

«La France est en guerre », déclare François Hollande, le 16 novembre 2015, aux députés et sénateurs réunis en Congrès à Versailles après les attentats du 13 novembre. Phrase également utilisée à plusieurs reprises par le Premier ministre de l’époque Manuel Valls. Dans son allocution du 16 mars 2020 consacrée à la covid-19, le président Emmanuel Macron répète six fois la phrase : « nous sommes en guerre ». Pour renforcer le message, il égrène dans ses discours lors de la pandémie des citations de Georges Clemenceau. Notamment cette phrase à propos des soignants, « ils ont des droits sur nous », que Clemenceau avait utilisée pour évoquer les Anciens combattants après la Première guerre mondiale. Dans aucun de ces deux cas (terrorisme et covid), la « déclaration de guerre » n’a été suivie de discours de « paix », encore moins de « victoire ». Cela signifierait-il que, faute de paix, nous soyons encore en guerre ?

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La question revêt un sens nouveau dans l’actuel contexte de guerre – une vraie guerre –en Ukraine. Et comme l’histoire n’est pas avare d’ironie, cette fois, justement, l’un des principaux protagonistes réfute l’utilisation du mot. Vladimir Poutine préfère évoquer « des opérations militaires spéciales » visant au « maintien de la paix ». Non seulement le mot guerre n’est pas utilisé, mais il est, de fait, interdit d’usage en Russie. Dès le 24 février, le jour du déclenchement des opérations, le Roskomnadzor, c’est-à-dire le service fédéral de supervision des communications, a prévenu que le fait de qualifier l’opération militaire en cours d’ « invasion », d’ « attaque » ou de « guerre » serait considéré comme une « fausse » description des faits. Une fake news, dirait-on ici. Or, le « code des infractions administratives de la Fédération de Russie », prévoit une amende administrative et des sanctions pour quiconque « diffuse intentionnellement de fausses informations ».

Ces mesures ont été renforcées le 4 mars, par le vote d’une loi qui prévoit des p


[1] Marc Hecker, « La France en guerre contre le terrorisme », Études, novembre 2018, p. 33-42.

[2] Sylvie Pierre-Brossolette, « Terrorisme : Chirac, chef de guerre », L’Express, 19 septembre 1995.

[3] La France face au terrorisme. Livre blanc du gouvernement sur la sécurité intérieure face au terrorisme, 2006, p. 118.

[4] « Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer : “Dire qu’on est en guerre contre le terrorisme, c’est un non-sens sur le plan sémantique” », Libération, 1er décembre 2017.

[5] Hecker, op. cit.

[6] Jenny Raflik, « Faire la guerre au terrorisme », Ouest-France, 20 novembre 2015.

[7] Présidence de la République, discours du 16 mars 2020.

[8] Gaïdz Minassian, « Covid-19, ce que cache la rhétorique guerrière », Le Monde, 8 avril 2020. Michel Wieviorka : « Coronavirus : parler de guerre est une faute », La Tribune, 31 mars 2020.

[9] Discours d’Emmanuel Macron, 2 mars 2022. « Nous ne sommes pas en conflit contre le peuple russe », précise Bruno Le Maire le 1er mars.

[10] Qiao Liang et Wang Xiangsui, La guerre hors limites, Payot, 2003, p. 206.

[11] Thomas Gomart, Guerres invisibles, Texto, 2021, 346 p.

[12] Intervention de Bruno Le Maire sur France Info, 1er mars 2022.

[13] Mark Leonard, The Age of Unpeace: How Connectivity Causes Conflict, Penguin, 2021, 256 p.

Jenny Raflik

Historienne, Professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Nantes

Notes

[1] Marc Hecker, « La France en guerre contre le terrorisme », Études, novembre 2018, p. 33-42.

[2] Sylvie Pierre-Brossolette, « Terrorisme : Chirac, chef de guerre », L’Express, 19 septembre 1995.

[3] La France face au terrorisme. Livre blanc du gouvernement sur la sécurité intérieure face au terrorisme, 2006, p. 118.

[4] « Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer : “Dire qu’on est en guerre contre le terrorisme, c’est un non-sens sur le plan sémantique” », Libération, 1er décembre 2017.

[5] Hecker, op. cit.

[6] Jenny Raflik, « Faire la guerre au terrorisme », Ouest-France, 20 novembre 2015.

[7] Présidence de la République, discours du 16 mars 2020.

[8] Gaïdz Minassian, « Covid-19, ce que cache la rhétorique guerrière », Le Monde, 8 avril 2020. Michel Wieviorka : « Coronavirus : parler de guerre est une faute », La Tribune, 31 mars 2020.

[9] Discours d’Emmanuel Macron, 2 mars 2022. « Nous ne sommes pas en conflit contre le peuple russe », précise Bruno Le Maire le 1er mars.

[10] Qiao Liang et Wang Xiangsui, La guerre hors limites, Payot, 2003, p. 206.

[11] Thomas Gomart, Guerres invisibles, Texto, 2021, 346 p.

[12] Intervention de Bruno Le Maire sur France Info, 1er mars 2022.

[13] Mark Leonard, The Age of Unpeace: How Connectivity Causes Conflict, Penguin, 2021, 256 p.