International

L’Europe centrale enrôlée dans la guerre en Ukraine

Politiste

En accueillant une grande partie du flot de réfugiés ukrainiens, et de par leur dépendance aux énergies russes, la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie se retrouvent de fait enrôlées dans la guerre en Ukraine. Cette dernière bouscule à bien des égards la géopolitique régionale, l’Europe centrale semblant renouer avec le narratif européen des années 1990 et les gouvernements s’alignant sur une ligne d’hostilité commune à l’égard de Vladimir Poutine.

La guerre est, on le sait, un fait social total. Elle implique, au sens fort d’impliquer, l’ensemble des secteurs des sociétés directement concernées : le politique, le militaire, le sanitaire, l’éducatif, l’économique, le culturel, etc. Portée par une logique d’exclusion, elle incite à des dynamiques de solidarité et de fraternité. Crise multidimensionnelle, elle peut fonder des mécanismes d’institution. Rupture, voire fin d’une époque, elle peut inaugurer des temps nouveaux. Concentrée sur un territoire précis correspondant à des objectifs martiaux plus ou moins déclarés, sa géographie est en réalité extensive.

La guerre en Ukraine contient certainement l’ensemble de ces propriétés. Sa capacité d’enrôlement, ne serait-ce qu’à l’échelle de l’Europe, est évidente. L’Europe centrale (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) est de ce point de vue en première ligne. Par sa proximité géographique (trois pays de la région ont une frontière avec l’Ukraine) et l’appartenance à un même sous-espace de la globalisation, ses liens historiques avec l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie (une histoire partagée pendant des siècles jusqu’à celle, récente, du soviétisme) et une expérience contrastée du post-communisme, cette partie de l’Europe est confrontée à de nombreux défis qui s’accompagnent d’effets-miroir éprouvants teintés d’ambiguïtés.

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Un enrôlement à plusieurs dimensions

L’exode de plusieurs millions de personnes fuyant l’Ukraine est évidemment le phénomène le plus visible, mais il n’est peut-être pas le plus significatif. Les pays d’Europe centrale ne découvrent pas subitement les Ukrainiens à la faveur de la guerre. La région est historiquement une terre de sangs mêlés et de coexistence plus ou moins pacifique entre groupes ethniques et culturels, qualifiés de « minorités nationales ». Les rapports entre Ukrainiens et Polonais en particulier s’inscrivent dans une histoire longue, une partie de l’actuelle Ukraine ayant été sous l’autorité du royaume de


[1]Catherine Gousseff, Échanger les peuples : Le déplacement des minorités aux confins polono-soviétiques (1944-1947), Fayard, 2015.

[2]Olena Fedyuk, Marta Kindler (ed)., Ukrainian Migration to the European Union. Lessons from Migration Studies, Springer, 2016.

[3]Frédéric Zalewski, « Révolutions conservatrices en Europe centrale et orientale. Introduction », Revue d’études comparatives Est-Ouest, n°47, 2016/4.

[4]Damien De Blic, Cyril Lemieux, « Le scandale comme épreuve. Éléments de sociologie pragmatique », Politix, n°71, 2005/3.

Jérôme Heurtaux

Politiste, Maître de conférences en science politique

Notes

[1]Catherine Gousseff, Échanger les peuples : Le déplacement des minorités aux confins polono-soviétiques (1944-1947), Fayard, 2015.

[2]Olena Fedyuk, Marta Kindler (ed)., Ukrainian Migration to the European Union. Lessons from Migration Studies, Springer, 2016.

[3]Frédéric Zalewski, « Révolutions conservatrices en Europe centrale et orientale. Introduction », Revue d’études comparatives Est-Ouest, n°47, 2016/4.

[4]Damien De Blic, Cyril Lemieux, « Le scandale comme épreuve. Éléments de sociologie pragmatique », Politix, n°71, 2005/3.