Société

L’Histoire-prévention : de la fin de la pandémie et du futur de la santé (publique)

Historienne

Révélatrice de l’état d’une société, une épidémie constitue une réalité multifactorielle, nécessitant par extension une santé publique interdisciplinaire, ouverte aux historiens. Or, si ces derniers ont bien été sollicités durant la crise sanitaire, on a – hélas – moins fait appel à leur compréhension du présent pandémique qu’à leurs supposées capacités divinatoires.

On nous annonce avec un certain aplomb la fin de la pandémie de Covid-19. Les deux années qui viennent de s’écouler incitent pourtant à la prudence. Le conflit en Ukraine, qui gonfle rapidement le nombre de réfugiés et affaiblit les systèmes immunitaires, aussi. Et puis l’on ne s’entend pas sur ce que « fin » veut dire. Risque résiduel, individuel, que l’on peut autoévaluer sur une plateforme en ligne ? Passage à l’endémie, « endemic » pour « end » martèlent les conservateurs américains, que des dirigeants en quête de réélection actent dans un élan tant arbitraire que tactique qui enjoint de tomber ce masque devenu bien trop gênant ?

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Face à ces petits arrangements destinés à nous faire « vivre avec le virus », à résorber un épuisement pandémique diffus et à recouvrer la paix sociale, l’historien de la typhoïde Jacob Steere-Williams postait récemment sur Twitter que l’histoire du terme « endémie » en est une de détournements idéologiques incessants qui maintient les gestes barrières en impératif. Depuis le milieu du XIXe siècle, on associe épidémie, danger infectieux et tropiques colonisés tandis qu’endémie sous-entend modernité et bonne santé économique de l’Occident.

Si les cycles coexistent constamment et partout précisait-il, recourir au registre de la seconde relève d’une justification néolibérale qui permet à des états de se dédouaner ou, pire, d’un fatalisme néo-darwiniste – il y a encore un prix à payer pour le « retour à la normale », plus de morts parmi les plus fragiles, implacablement invisibilisés. Les grands quotidiens américains refuseraient à l’unisson l’éditorial tiré de ses réflexions. Le chercheur passait pour un oiseau de mauvais augure, un empêcheur de tourner en rond, peut-être même un imposteur.

Penser et repenser le passé des pandémies

Les pairs de Steere-Williams ont, eux, eu tôt fait de reconnaître la légitimité de son propos. Une riche historiographie, en renouvellement depuis les années 1980 et cette fin annoncée des pathologies


[1] Grmek, Mirko D. (1969), « Préliminaire d’une étude historique des maladies », Annales. Histoire, sciences sociales, 24 (6) : 1473-83.

[2] Rosenberg, Charles E. (1987) The Cholera Years : The United States in 1832, 1849, and 1866, Chicago: Chicago University Press ; Bourdelais, Patrice et Jean-Yves Raulot (1987), Histoire du choléra en France: une peur bleue, 1832-1854, Éditions Payot.

[3] Grmek, Mirko D. (1989), Histoire du sida. Début et origine d’une pandémie actuelle, Éditions Payot; Rosenberg, Charles E. (1989), « What is an epidemic? AIDS in historical perspective », Daedalus: 1-17.

[4] Honigsbaum, Mark (2019), The Pandemic Century : One Hundred Years of Panic, Hysteria, and Hubris, New York et Londres: W.W. Norton & Company.

[5] Krishnan, Vidya (2022), The Phantom Plague. How Tuberculosis Shaped History, New York: Public Affairs.

[6] Lachenal, Guillaume et Gaëtan Thomas (2020), « L’histoire immobile du coronavirus » dans Christophe Bonneuil, Comment faire ?, Seuil, pp.62-70.

[7] Gaille, Marie et Philippe Terral (2021), Pandémie. Un fait social total, CNRS Éditions.

[8] Zylberman, Patrick (2012), « Crises sanitaires, crises politiques », Les tribunes de la santé, 1 (34) : 38-42.

[9] Anderson, Warwick (2021), « The model crisis, or how to have critical promiscuity in the time of Covid19 » Social Studies of Science, 51(2) 169-70.

[10] Klinenberg, Eric (2021), Canicule. Chicago, été 1995. Autopsie sociale d’une catastrophe. Lyon : Éditions 205 et École urbaine de Lyon

[11] Pépin, Jacques (2019), Aux origines du sida. Enquête sur les racines coloniales d’une pandémie, Seuil.

[12] Fressoz, Jean-Baptiste et Christophe Bonneuil (2013), L’Événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Seuil.

[13] Fassin, Didier (2022), « Introduction », La société qui vient, Seuil, pp. 8-9, 16.

[14] Spinney, Laura (2020), « What are COVID archivists keeping for tomorrow’s historians? », Nature

[15] Anderson, Warwick (2020), « The way we live now? », Isis, 111 (4): 834-37

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Laurence Monnais

Historienne, professeur titulaire au département d'histoire et directrice du Centre d'études asiatiques (CETASE) de l'Université de Montréal.

Mots-clés

Covid-19

Notes

[1] Grmek, Mirko D. (1969), « Préliminaire d’une étude historique des maladies », Annales. Histoire, sciences sociales, 24 (6) : 1473-83.

[2] Rosenberg, Charles E. (1987) The Cholera Years : The United States in 1832, 1849, and 1866, Chicago: Chicago University Press ; Bourdelais, Patrice et Jean-Yves Raulot (1987), Histoire du choléra en France: une peur bleue, 1832-1854, Éditions Payot.

[3] Grmek, Mirko D. (1989), Histoire du sida. Début et origine d’une pandémie actuelle, Éditions Payot; Rosenberg, Charles E. (1989), « What is an epidemic? AIDS in historical perspective », Daedalus: 1-17.

[4] Honigsbaum, Mark (2019), The Pandemic Century : One Hundred Years of Panic, Hysteria, and Hubris, New York et Londres: W.W. Norton & Company.

[5] Krishnan, Vidya (2022), The Phantom Plague. How Tuberculosis Shaped History, New York: Public Affairs.

[6] Lachenal, Guillaume et Gaëtan Thomas (2020), « L’histoire immobile du coronavirus » dans Christophe Bonneuil, Comment faire ?, Seuil, pp.62-70.

[7] Gaille, Marie et Philippe Terral (2021), Pandémie. Un fait social total, CNRS Éditions.

[8] Zylberman, Patrick (2012), « Crises sanitaires, crises politiques », Les tribunes de la santé, 1 (34) : 38-42.

[9] Anderson, Warwick (2021), « The model crisis, or how to have critical promiscuity in the time of Covid19 » Social Studies of Science, 51(2) 169-70.

[10] Klinenberg, Eric (2021), Canicule. Chicago, été 1995. Autopsie sociale d’une catastrophe. Lyon : Éditions 205 et École urbaine de Lyon

[11] Pépin, Jacques (2019), Aux origines du sida. Enquête sur les racines coloniales d’une pandémie, Seuil.

[12] Fressoz, Jean-Baptiste et Christophe Bonneuil (2013), L’Événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Seuil.

[13] Fassin, Didier (2022), « Introduction », La société qui vient, Seuil, pp. 8-9, 16.

[14] Spinney, Laura (2020), « What are COVID archivists keeping for tomorrow’s historians? », Nature

[15] Anderson, Warwick (2020), « The way we live now? », Isis, 111 (4): 834-37

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