Littérature

Notre moitié du monde – sur L’autre moitié du monde de Laurine Roux

Journaliste et traducteur

Avec L’autre moitié du monde, Laurine Roux nous livre le récit d’une communauté de paysans en quasi situation de servage dans le delta de l’Èbre (Catalogne), plongée, puis engagée dans la Révolution et la guerre d’Espagne. Un récit mené dans une langue forte et sensuelle, constamment ancrée dans la réalité naturelle et la physique des corps.

«Les fantômes, ils mangent des fleurs. Des fraîches. Sans quoi ils meurent. Sans amour les fantômes n’existeraient pas. Voilà ce que nous apprennent les bouquets au bord de la route. » Car il y a toujours une main derrière le bouquet. En l’occurrence, c’est celle de Toya, l’héroïne du roman de Laurine Roux, qui nous fait traverser une histoire où les fantômes se croisent, se toisent et se taisent. Parfois, ils se sont aimés…

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Une histoire singulière sur fond de la grande Histoire collective de la Révolution espagnole, qui fut aussi rurale, paysanne, pas seulement ouvrière et urbaine. D’où le déchaînement de la guerre d’extermination qui s’ensuivit sur tout le territoire, comme l’a montré l’historien Paul Preston (Une guerre d’extermination. Espagne, 1936-1945, Belin, 2016). Les troupes franquistes, sachant qu’elles n’obtiendraient pas l’assentiment du peuple, ont opté pour la terreur meurtrière. Georges Bernanos, depuis Majorque, dira dans Les grands cimetières sous la lune son profond dégoût pour ce carnage organisé – et béni par l’évêque – où des innocents, « simplement suspects de peu d’enthousiasme pour le mouvement », amenés par camions à bestiaux, étaient alignés au mur et fusillés.

Aujourd’hui, une guerre barbare est menée en Ukraine contre une jeune démocratie. Le dictateur russe tente ainsi de perpétuer son pouvoir. Là aussi, la résistance du peuple déchaîne la violence adverse. Le récit de Laurine Roux résonne dans ce contexte. Son rapport à l’Histoire ?

« J’ai écrit depuis un corps qui résonnait de rage et d’impuissance face à l’actualité. La déliquescence de la gauche incapable de s’unir à cause de querelles de chapelle me semblait faire un écho net avec la guerre d’Espagne et les divisions des mouvements. Comment se fait-il que l’histoire se répète alors qu’il suffit de se pencher un peu en arrière pour voir les blessures provoquées par ceux qui ont déjà foncé dans le mur ? À partir de ma rage, j’ai nourri celle de mes personnages. »

Des propos


[1] Tu es la vie, l’autre moitié du monde.

[2] Andrés Trapiello, Les armes et les lettres: Littérature et guerre d’Espagne (1936-1939), La Table Ronde, 2009

Jacques Munier

Journaliste et traducteur, Producteur et présentateur du "Journal des idées" de France Culture

Notes

[1] Tu es la vie, l’autre moitié du monde.

[2] Andrés Trapiello, Les armes et les lettres: Littérature et guerre d’Espagne (1936-1939), La Table Ronde, 2009