Écologie

Les nouveaux habits de l’empereur extractiviste

Chercheur en Lettres, Anthropologue

Ces dernières années, le thème d’un « renouveau minier » sur le territoire national s’est invité dans le débat stratégique. Si la pandémie ou la guerre ont relancé l’engouement pour la relocalisation productive, s’esquisse également l’horizon d’une extraction plus « souveraine » des matières premières nécessaires à une économie prétendument « dématérialisée ». Qu’ont à nous dire à ce propos les carrières de marbre à Carrare ?

On raconte que quelques jours avant le « massacre de Bettogli » de 1911 – un éboulement ayant tué 10 ouvriers des carrières de marbre de Carrare (Italie) – certains travailleurs (cavatori) avaient averti leurs patrons : quelque chose clochait, « la montagne chantait[1] ».

Dans ces contrées transalpines, le capitalisme n’en était qu’à ses débuts à cette époque, mais le démon guidant son ascension impérieuse et vorace se manifestait déjà clairement dans cet événement tragique. Sous le capitalisme la « nature » ne chante pas, ne communique pas. Elle se prête silencieusement à une gestion et à une domination par les humains (« les hommes », aurait-on dit), vouée à une productivité marchande : ce qui est vrai en général doit l’être encore plus fatalement lorsqu’il s’agit du secteur « non vivant » de celle-ci, en particulier le royaume minéral. En réalité, quelqu’un avait su écouter la montagne, prêter attention à son chant, mais les patrons des cave n’ont su écouter que la mélodie de leur argent, en laissant les travailleurs crever sous la montagne qui s’effondrait… Alors la conscience du potentiel de délitement d’une pierre comme le marbre blanc a atteint même le quartier parisien de la Défense[2].

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Ce genre de situations sont bien connues de la critique écologique contemporaine. Elles peuvent être regroupées sous la rubrique « extractivisme », un terme devenu de plus en plus courant pour désigner une attitude d’exploitation technique des milieux vivants aveugle aux réciprocités et aux équilibres qui les entretiennent. Bien que les plantations coloniales puissent en représenter une occurrence exemplaire (y compris dans leur déclinaison ultra-technologisée de multinationales comme Monsanto), le cas des activités minières demeure l’exemple le plus brutalement littéral de ce qu’extraire veut dire[3].

La partition est un engrenage crucial de l’extraction, à tout niveau : diviser les parties de la réalité, y sélectionner certains fragments « significatifs-parce-que-


[1] « La montagne chante » est une expression employée dans le milieu des carrières pour dire que des ajustements géologiques sont en train se produire.

[2] Les dégâts dus au vieillissement des plaques de marbre de Carrare couvrant la Grande Arche ont entrainé leur remplacement par une pierre nord-américaine.

[3] Voir le dossier « Extractivisme : logiques d’un système d’accaparement » de la revue Ecologie Politique, n°59, 2019/2.

[4] Marcello Cini, « La scienza nell’era dell’economia della conoscenza », in Carlo Modonesi, Il gene invadente – riduzionismo, brevettabilità e governance dell’innovazione biotech, Milan, Baldini Castoldi Editore, 2006.

[5] Son travail « Manono – des écrans pour esthétiser la misère » (2019) est accessible ici.

[6] « À quand les mines de cobalte en Belledonne ? », Le Postillon, n° 45, 2018.

[7] Les déclarations de la ministre Barbara Pompili, faisant écho à d’autres similaires au cours de la dernière décennie, sont accessibles ici.

[8] Un état des lieux officiel de l’activité minière française (dont l’impact se concentre principalement sur les territoires en dehors de l’hexagone) est disponible ici.

[9] Voir ses dernières publications pour Les liens qui libèrent : La guerre des métaux rares. La face caché de la transition énergétique et numérique (2018) et L’enfer numérique. Voyage au bout d’un like (2021).

[10] Mathilde Damgé, « La Russie envahit-elle l’Ukraine pour ses ressources naturelles ? », Le Monde, 3 mars 2022.

[11] La conversation très riche avec la chercheuse indépendante est accessible ici.

[12] Voir à ce sujet l’analyse « Controverses minières » publiée l’année dernière par l’association SistExt.

[13] Telles sont les conclusions du rapport de l’European Extraction Bureau apparu l’année dernière sous le titre « Green mining is a myth: the case for cutting European resource consumption ».

[14] Sur cet ensemble de problèmes à l’échelle européenne, voir les textes recueillis par la Revue Gouvernance, « La gouvernance du renouveau

Jacopo Rasmi

Chercheur en Lettres, maître de conférences en arts visuels et études italiennes à l'Université Jean Monnet (Saint Etienne)

Carlo Perazzo

Anthropologue, enseignant en histoire et philosophie dans le secondaire en Italie

Notes

[1] « La montagne chante » est une expression employée dans le milieu des carrières pour dire que des ajustements géologiques sont en train se produire.

[2] Les dégâts dus au vieillissement des plaques de marbre de Carrare couvrant la Grande Arche ont entrainé leur remplacement par une pierre nord-américaine.

[3] Voir le dossier « Extractivisme : logiques d’un système d’accaparement » de la revue Ecologie Politique, n°59, 2019/2.

[4] Marcello Cini, « La scienza nell’era dell’economia della conoscenza », in Carlo Modonesi, Il gene invadente – riduzionismo, brevettabilità e governance dell’innovazione biotech, Milan, Baldini Castoldi Editore, 2006.

[5] Son travail « Manono – des écrans pour esthétiser la misère » (2019) est accessible ici.

[6] « À quand les mines de cobalte en Belledonne ? », Le Postillon, n° 45, 2018.

[7] Les déclarations de la ministre Barbara Pompili, faisant écho à d’autres similaires au cours de la dernière décennie, sont accessibles ici.

[8] Un état des lieux officiel de l’activité minière française (dont l’impact se concentre principalement sur les territoires en dehors de l’hexagone) est disponible ici.

[9] Voir ses dernières publications pour Les liens qui libèrent : La guerre des métaux rares. La face caché de la transition énergétique et numérique (2018) et L’enfer numérique. Voyage au bout d’un like (2021).

[10] Mathilde Damgé, « La Russie envahit-elle l’Ukraine pour ses ressources naturelles ? », Le Monde, 3 mars 2022.

[11] La conversation très riche avec la chercheuse indépendante est accessible ici.

[12] Voir à ce sujet l’analyse « Controverses minières » publiée l’année dernière par l’association SistExt.

[13] Telles sont les conclusions du rapport de l’European Extraction Bureau apparu l’année dernière sous le titre « Green mining is a myth: the case for cutting European resource consumption ».

[14] Sur cet ensemble de problèmes à l’échelle européenne, voir les textes recueillis par la Revue Gouvernance, « La gouvernance du renouveau