Pédagogie de la répugnance – à propos de Pétrole de Pier Paolo Pasolini
Cent ans ont passé depuis la naissance de Pier Paolo Pasolini, et pourtant on ne peut célébrer cet anniversaire comme on en a l’habitude dans le monde des lettres, en rendant hommage à la valeur esthétique et culturelle de son œuvre polymorphe. Deux raisons l’en empêchent. Avant tout, ce n’est pas la naissance mais la mort de Pasolini qui marque notre rapport à sa figure intellectuelle.
De la biographie de Pasolini, ce qui insiste dans notre présent est son corps retrouvé sans vie le 2 novembre 1975 à la base d’hydravions d’Ostie, les photographies de son cadavre défiguré en Une des quotidiens italiens, les procès clos sans avoir identifié ni tous les exécutants ni les commanditaires de cet atroce assassinat[1].

En second lieu, Pasolini ne concevait pas ses interventions comme des contributions à une tradition, mais plutôt comme une communication contingente et désespérée de la vérité. Son cinéma, sa poésie, ses romans et essais, tout comme ses interviews et sa scandaleuse présence publique, étaient des actes d’accusation, des provocations, un corps à corps avec les forces historiques d’une Italie abhorrée et condamnée : l’Italie des massacres d’État de la Démocratie chrétienne, de la mutation anthropologique d’un pays de paysans en démocratie autoritaire, d’une bourgeoisie complice des mafias et de l’Église catholique, du « nouveau pouvoir » consumériste.
Pour approcher une nouvelle fois Pasolini au moment du centenaire de sa naissance, nous devons accepter le défi de sa mort et de son œuvre inassimilable, tout comme était « répugnant » pour Pasolini le protagoniste de son roman cyclopéen, inachevé et posthume, Pétrole[2].
Quelque chose d’écrit
Je suggère de relire Pétrole en ce moment historique, maintenant que ce ne sont pas seulement les pages écrites par Pasolini qui sont répugnantes mais avant tout les tragiques massacres de civils et de militaires en Ukraine, les viols et les tortures, la destruction et la contamination des villes et des campagnes,