Politique

La puissance, avenir de la gauche ?

Philosophe

À gauche, il y a généralement une réticence à parler de puissance. Pourtant, comment nommer autrement que puissance collective la capacité d’agir de manière solidaire et réfléchie dans un monde toujours plus instable ? Alors que l’impensé de ce concept est indissociable du succès de ses adversaires politiques, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale, coalition inédite des partis de gauche en vue des prochaines élections législatives, serait inspirée de le réinvestir.

Dans l’état actuel du paysage politique français, il serait présomptueux de croire que la gauche soit en position de force, et ce n’est assurément pas dans ce genre de wishful thinking qu’il s’agit de se complaire ici. On voudrait plutôt s’interroger sur la singulière absence d’un concept politique fondamental chez les partisans de la république démocratique et sociale. Une absence qui n’est sans doute pas sans lien avec leurs propres difficultés à proposer une alternative convaincante à des politiques pourtant largement rejetées.

De fait, on éprouve généralement une réticence, à gauche, à parler de puissance. Celle-ci est liée, tout particulièrement en France, à la raison d’État, au nationalisme, et à l’impérialisme colonial. Plus précisément, l’idée de puissance y est appréhendée essentiellement sur le mode de la nostalgie, sinon de la mauvaise foi. Dans l’histoire récente, le désastre traumatique de juin 1940 a d’autant moins disparu de la mémoire collective qu’il a fait l’objet d’une tentative de refoulement de la part de celui-là même qui a fondé le régime de la Cinquième République, sous lequel nous vivons encore.

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Et pour ne rien simplifier, le même homme, dans le même temps, ne mettait fin à la plus douloureuse des guerres de décolonisation que d’une manière très ambiguë : appelé par ceux qui refusaient de solder l’héritage colonial, il l’a accompli au prix d’un déni toujours persistant de la réalité même de ce conflit, dans un silence qui pèse toujours sur la population française, issue ou non de l’immigration maghrébine.

Certains, non sans de bons arguments, font le pari que le travail que doivent accomplir les partisans de l’émancipation et du progrès social consiste précisément à continuer de s’affranchir de l’imaginaire et du lexique de la puissance[1]. Cette thèse, qui a au moins le mérite d’affronter le problème, souffre néanmoins de deux faiblesses majeures. Sur le plan tactique d’abord, elle revient à laisser la thématique de la puissance à


[1] G. Duval, La France ne sera plus jamais une grande puissance ? Tant mieux ! Et autres (bonnes) raisons de ne pas désespérer, La Découverte, 2015, rééd. 2017.

[2] Violaine Girard, « Comprendre l’ancrage périurbain d’un vote FN/RN », AOC, 22 avril 2022.

[3] Voir É. Laurent, Sortir de la croissance, mode d’emploi, Les Liens qui Libèrent, 2021.

[4] Formule d’E. Macron en campagne en 2017, citée par Le Journal du Dimanche, 8 janvier 2017.

Thomas Boccon-Gibod

Philosophe, Maître de conférences en philosophie du droit à l'Université Grenoble Alpes

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Notes

[1] G. Duval, La France ne sera plus jamais une grande puissance ? Tant mieux ! Et autres (bonnes) raisons de ne pas désespérer, La Découverte, 2015, rééd. 2017.

[2] Violaine Girard, « Comprendre l’ancrage périurbain d’un vote FN/RN », AOC, 22 avril 2022.

[3] Voir É. Laurent, Sortir de la croissance, mode d’emploi, Les Liens qui Libèrent, 2021.

[4] Formule d’E. Macron en campagne en 2017, citée par Le Journal du Dimanche, 8 janvier 2017.