Savoirs

Traces – pour une psychanalyse à venir

Psychanalyste et philosophe

Lier la psychanalyse à l’à venir – ce qui vient – permet de la distinguer aussi radicalement que possible de tous les discours réactionnaires contemporains. La psychanalyse à venir, ça n’est pas la question de l’avenir de la psychanalyse, mais bien celle de ce par quoi elle est ouverte, exposée, travaillée, hantée, habitée, ce par quoi elle est obligée.

«Traces » est un vocable – il y en aurait d’autres – qui offre la chance de penser la relance, urgente, de la psychanalyse. Cette psychanalyse-là que, depuis quelques années, je n’appelle jamais autrement que psychanalyse à venir. La lier strictement, dans la lettre de son nom, la psychanalyse, à l’à venir, est une façon de la distinguer aussi radicalement que possible de tous les discours réactionnaires contemporains, discours que l’on se permet de tenir en son nom bien souvent et qui, à chaque fois que c’est le cas, m’affligent. Ainsi, lui donner ce nom signifie toujours en même temps qu’une psychanalyse décliniste ou réactionnaire n’a jamais rien à voir avec ce que c’est que la psychanalyse, et ce depuis avant même sa date de naissance officielle. Je reviendrai à sa préhistoire, car Freud y aura tout de suite investi beaucoup et, par là même, y aura laissé des traces précieuses qui ne demandent qu’à être revivifiées – c’est précisément cela une trace mnésique. Immédiatement un branchement s’impose entre « traces » et « à venir ».

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« Traces » n’est jamais le nom de je ne sais quel tropisme pour ce qui fût, de je ne sais quelle nostalgie, attachement viscéral au passé, et de je sais trop bien quelle pulsion réactionnaire non plus. Traces, au contraire, ouvre la venue de ce qui vient dans la rencontre, de ce qui travaille du passé dans le présent, de ce qui hante et meut ce présent qui, ainsi habité n’est ou ne peut jamais être pur présent. On aurait raison de penser là et au travail incontournable de Georges Didi-Huberman avec les « survivances » de Warburg – entre autres – et à la grande et révolutionnaire notion d’après-coup conçue par Freud, car, comme son nom l’indique, après-coup, c’est déjà l’à venir.

La seule écoute possible se fait depuis le non-savoir de la venue de ce qui vient.

À venir signifie non pas simplement futur, mais ce qui vient, à savoir la venue du venir et donc ouverture par ce qui surgit, effracte, disrupte, arrive. Une psychanalyse


[1] L’homme Moïse et la religion monothéiste, trad. Jean-Pierre Lefebvre, Paris, Seuil, Points, Essais, 2012, p.130.

[2] « Il a absolument passé. Être en tant que laisser une trace, c’est passer, partir, s’absoudre. Mais tout signe est, dans ce sens, trace. En plus de ce que le signe signifie, il est le passage de celui qui a délivré le signe. La signifiance de trace double la signification du signe émis en vue de la communication. Le signe se tient dans cette trace. Cette signifiance résiderait pour une lettre, par exemple, dans l’écriture et le style de cette lettre, dans tout ce qui fait que, lors de l’émission même du message que nous captons à partir du langage de cette lettre et de sa sincérité, quelqu’un passe purement et simplement. Cette trace peut à nouveau être prise pour un signe. Un graphologue, un connaisseur de styles ou un psychanalyste, pourra interpréter la signifiance singulière de la trace pour y quérir les intentions scellées et inconscientes, mais réelles, de celui qui a délivré le message. Mais ce qui, dès lors, dans la graphie et le style de la lettre, reste spécifiquement trace, ne signifie aucune de ces intentions, aucune de ces qualités, ne révèle ni ne cache précisément rien. Dans la trace a passé un passé absolument révolu. Dans la trace se scelle son irréversible révolution. Le dévoilement qui restitue le monde et ramène au monde et qui est le propre d’un signe ou d’une signification, s’abolit dans cette trace. Mais dès lors la trace ne serait-elle pas la pesanteur de l’être même en dehors de ses actes et de son langage – pesant non pas par sa présence qui le range dans le monde, mais de par son irréversibilité même, de par son ab-solution ?

La trace serait l’indélébilité même de l’être, sa toute-puissance à l’égard de toute négativité, son immensité incapable de s’enfermer en soi et en quelque façon trop grande pour la discrétion, pour l’intériorité, pour un Soi. Et en effet, nous avons tenu à dire que la trace ne met pas en relation a

Stéphane Habib

Psychanalyste et philosophe, Membre de l'Institut Hospitalier de Psychanalyse de Sainte-Anne à Paris

Rayonnages

SavoirsPsychanalyse

Notes

[1] L’homme Moïse et la religion monothéiste, trad. Jean-Pierre Lefebvre, Paris, Seuil, Points, Essais, 2012, p.130.

[2] « Il a absolument passé. Être en tant que laisser une trace, c’est passer, partir, s’absoudre. Mais tout signe est, dans ce sens, trace. En plus de ce que le signe signifie, il est le passage de celui qui a délivré le signe. La signifiance de trace double la signification du signe émis en vue de la communication. Le signe se tient dans cette trace. Cette signifiance résiderait pour une lettre, par exemple, dans l’écriture et le style de cette lettre, dans tout ce qui fait que, lors de l’émission même du message que nous captons à partir du langage de cette lettre et de sa sincérité, quelqu’un passe purement et simplement. Cette trace peut à nouveau être prise pour un signe. Un graphologue, un connaisseur de styles ou un psychanalyste, pourra interpréter la signifiance singulière de la trace pour y quérir les intentions scellées et inconscientes, mais réelles, de celui qui a délivré le message. Mais ce qui, dès lors, dans la graphie et le style de la lettre, reste spécifiquement trace, ne signifie aucune de ces intentions, aucune de ces qualités, ne révèle ni ne cache précisément rien. Dans la trace a passé un passé absolument révolu. Dans la trace se scelle son irréversible révolution. Le dévoilement qui restitue le monde et ramène au monde et qui est le propre d’un signe ou d’une signification, s’abolit dans cette trace. Mais dès lors la trace ne serait-elle pas la pesanteur de l’être même en dehors de ses actes et de son langage – pesant non pas par sa présence qui le range dans le monde, mais de par son irréversibilité même, de par son ab-solution ?

La trace serait l’indélébilité même de l’être, sa toute-puissance à l’égard de toute négativité, son immensité incapable de s’enfermer en soi et en quelque façon trop grande pour la discrétion, pour l’intériorité, pour un Soi. Et en effet, nous avons tenu à dire que la trace ne met pas en relation a