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Du « conservatisme éclairé » au « national-conservatisme » : histoire d’une dérive russe

Chercheur en littérature et civilisation russes

Visé par l’attentat qui vient de coûter la vie à sa fille dans l’explosion de sa voiture, l’idéologue Alexandre Douguine est l’un des maîtres à penser poutiniens du national-conservatisme élaboré par le « Club d’Izborsk ». Un courant qui, pour être saisi, gagne à être replacé dans l’histoire longue du conservatisme russe.

Sait-on que le conservatisme, le « conservatisme de Russie » (rossiïski), est depuis novembre 2009 l’idéologie officielle du parti du pouvoir de Vladimir Poutine, Russie unie ? Poutine lui-même se définissant comme conservateur en septembre 2013. Comment ce conservatisme, qui se voulait une « idéologie de stabilité et de développement », et qui semblait naturel après la période des troubles politiques et économiques qui entraînèrent la désintégration de l’URSS, en est-il venu à cautionner la guerre d’extermination de la Russie contre l’Ukraine indépendante ? L’histoire du conservatisme en Russie permet de suivre la transformation d’un conservatisme à l’origine « éclairé » en un « national-conservatisme » impérialiste et occidentophobe.

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Naissance du conservatisme russe

Le conservatisme russe (ou plutôt, on le verra, les conservatismes) est né comme opposition à des réformes qui modifiaient l’ordre établi (réformes de Pierre le Grand, Alexandre Ier, Alexandre II – abolition du servage en 1861 –, Gorbatchev, libéralisation des mœurs et mondialisation à notre époque) ou en réaction à des troubles révolutionnaires (Révolution française, putsch des décembristes (1825), révolutions françaises de 1830 et de 1848, soulèvements indépendantistes de la Pologne (1830-1831, 1861-1864), Commune de Paris, terrorisme (assassinat d’Alexandre II en 1881), révolutions de 1905, 1917, « révolutions de couleur » en Géorgie (2003) ou en Ukraine (2004, 2013)… La plupart des conservateurs russes sont d’anciens libéraux échaudés.

En Russie, l’élaboration philosophique du conservatisme fut entreprise par Nicolas Karamzine (1766-1826), écrivain et historien, avec un Mémoire sur la Russie ancienne et moderne sous les rapports politique et social présenté à Alexandre Ier en 1811. Il renferme tous les thèmes de la pensée conservatrice russe : critique de Pierre le Grand, rejet de l’imitation servile de l’Occident, défense des traditions nationales, critique de la soumission de l’Église à


Michel Niqueux

Chercheur en littérature et civilisation russes, Professeur émérite de l’Université de Caen-Normandie