Cinéma

Sans se retourner – à propos de Juste sous vos yeux de Hong Sang-soo

Critique

Femme d’un cinquantaine d’année de retour en Corée après un long séjour aux États-Unis, Sangok est hébergée chez sa sœur, Jeongok, qui l’emmène prendre un petit déjeuner, avant d’aller se promener dans un parc et de se rendre au restaurant tenu par son fils. Sur cette mince trame narrative, Juste sous vos yeux offre à Hong Sang-soo une nouvelle et belle occasion d’affirmer son détachement de plus en plus vis-à-vis du double souci de séduire et de produire.

Alors que deux prochains films patientent déjà sur les étagères (La Romancière, dont la sortie est prévue en février, et Walk up, présenté dernièrement à Toronto), Juste sous vos yeux vient illustrer à la perfection le tournant minimaliste opéré depuis quelques années dans l’œuvre du prolifique Hong Sang-soo.

Le cinéaste sud-coréen a par le passé lui-même pu battre en brèche l’idée qu’il faisait des films sur la réalité, pour affirmer faire plutôt des films à partir de structures qu’il conçoit. Mais si son travail a su déployer des configurations multiples (narrations parallèles, mises en abyme, récits à épisodes, indétermination entre rêve et réalité, répétitions et perturbations chronologiques, etc.), le geste semble néanmoins s’être allégé, les effets de structure s’estompant dans une forme de linéarité.

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À peu de choses près construit comme une simple succession de trois rencontres entre une femme et des amies, La Femme qui s’est enfuie (2021) pouvait par exemple n’avoir l’air de rien comparé aux temporalités brouillées de The Day he arrives (2011). Il n’est d’ailleurs pas sûr que ceux qui découvrent son cinéma à travers ses dernières productions comprennent d’emblée l’engouement critique qui l’entoure. Et la question de savoir si Hong Sang-soo s’est installé dans une routine un peu trop tranquille ou si cette nouvelle absence de démonstrativité atteste au contraire d’une forme de plénitude se pose légitimement.

Il est en tout cas certain que les films témoignent d’un fond assez constant, et le changement est sans doute en partie lié à un détachement de plus en plus affirmé vis-à-vis du double souci de séduire et de produire. En finançant lui-même ses films à travers la société Jeonwonsa, Hong Sang-soo a su se garantir la liberté et la sécurité. Tant mieux, car, à supposer que le cinéaste ait rédigé à l’avance un scénario au lieu d’écrire les scènes au jour le jour, on se demande quel autre producteur aurait été prêt à s’engager sur une trame aussi minc


[1] Félix Guattar, Gilles Deleuze, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Les Éditions de minuit, 1991, p. 162

[2] Gille Deleuze, L’image-temps, Paris, Les Éditions de minuit, 1985, p. 130. Cette expression s’insère dans un passage où Deleuze, après avoir décrit une image-temps fondée sur le passé, évoque un second type d’image-temps fondée sur le présent, impliquant la conception d’un temps au sein duquel le présent ne passe pas et est composé uniquement de présent simultanés. On voit comme cette figure du temps peut entrer en écho avec la position de Songak et si le jeu avec la structure est ici discret, des films comme Un jour avec, un jour sans ou Yourself and yours fournissent chez Hong Sang-soo d’autres exemples de répétitions induisant le rapport de « pointes de présent » ou présents simultanés.

Romain Lefebvre

Critique, Co-fondateur de la revue « Débordements » et chargé de cours à l'université

Rayonnages

Cinéma Culture

Notes

[1] Félix Guattar, Gilles Deleuze, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Les Éditions de minuit, 1991, p. 162

[2] Gille Deleuze, L’image-temps, Paris, Les Éditions de minuit, 1985, p. 130. Cette expression s’insère dans un passage où Deleuze, après avoir décrit une image-temps fondée sur le passé, évoque un second type d’image-temps fondée sur le présent, impliquant la conception d’un temps au sein duquel le présent ne passe pas et est composé uniquement de présent simultanés. On voit comme cette figure du temps peut entrer en écho avec la position de Songak et si le jeu avec la structure est ici discret, des films comme Un jour avec, un jour sans ou Yourself and yours fournissent chez Hong Sang-soo d’autres exemples de répétitions induisant le rapport de « pointes de présent » ou présents simultanés.