Ali Cherri : « Pour changer la réalité, il faut d’abord pouvoir imaginer un autre monde »
Depuis une vingtaine d’années, l’artiste libanais Ali Cherri déploie un travail protéiforme, entre sculptures, dessins, vidéos et documentaires, et plus récemment long-métrage pour le cinéma. Avec une remarquable cohérence malgré ces registres formels différents, Ali Cherri construit un univers d’une grande finesse, où les questions de la guerre et de la catastrophe et leur ancrage géopolitique, celles de la vie et de la mort, des corps cassés et de la mémoire s’inscrivent dans un monde où prendre soin, dormir d’un sommeil léger, (re)construire avec l’eau, la terre et le feu et laisser place aux créatures invisibles qui peuplent nos imaginaires et nos espaces spirituels, sont autant d’invocations concrètes pour représenter l’irreprésentable de notre monde contemporain.

Entre des institutions muséales tels que la National Gallery à Londres et le Muséum national d’Histoire naturelle à Paris, et les terres du Soudan aux abords du barrage de Merowe, la nécropole du désert de Sharjah aux Émirats arabes unis et la ville de Beyrouth, Ali Cherri y puise une même urgence de transmettre les récits millénaires façonnés par les gestes et les corps de ceux qui sont liés à la terre, à leur terre. Il fait surgir des objets aux identités multiples, autant artefacts archéologiques que sculptures contemporaines, des objets monstres dont la charge esthétique et émotionnelle relie le monde réel aux mythes qui s’y inscrivent en creux.
Son travail vient d’être récompensé par un Lion d’Argent à la Biennale de Venise. Un long-métrage, Le Barrage, sortira en salle cet hiver[1]. L’occasion de revenir sur quelques-uns de ses projets.
Vous présentez actuellement une installation à la Biennale de Venise composée de trois sculptures, Titans (2022), et d’une vidéo, Of Men and Gods and Mud (2022). Peu de temps après l’ouverture de la Biennale en mai dernier, votre premier long-métrage, Le Barrage (The Dam, 2022) a été montré au Festival de Cannes dans la sélection la Quinzaine des réalis