Arts visuels

Ali Cherri : « Pour changer la réalité, il faut d’abord pouvoir imaginer un autre monde »

Critique

Quelques semaines avant de recevoir le Lion d’Argent à la Biennale d’art de Venise, Ali Cherri avait montré son premier long-métrage à Cannes, dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs. Sur fond de révolte sociale, Le Barrage donne à voir le travail secret d’un briquetier soudanais. Chaque nuit, celui-ci s’emploie à façonner une large forme boueuse, qui semble prendre vie. Marqué par la guerre civile libanaise, Ali Cherri poursuit, entre cinéma et art contemporain, une réflexion exultant la marge et l’impalpable, mais aussi les traumatismes enfouis, les vestiges et les cicatrices.

Depuis une vingtaine d’années, l’artiste libanais Ali Cherri déploie un travail protéiforme, entre sculptures, dessins, vidéos et documentaires, et plus récemment long-métrage pour le cinéma. Avec une remarquable cohérence malgré ces registres formels différents, Ali Cherri construit un univers d’une grande finesse, où les questions de la guerre et de la catastrophe et leur ancrage géopolitique, celles de la vie et de la mort, des corps cassés et de la mémoire s’inscrivent dans un monde où prendre soin, dormir d’un sommeil léger, (re)construire avec l’eau, la terre et le feu et laisser place aux créatures invisibles qui peuplent nos imaginaires et nos espaces spirituels, sont autant d’invocations concrètes pour représenter l’irreprésentable de notre monde contemporain.

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Entre des institutions muséales tels que la National Gallery à Londres et le Muséum national d’Histoire naturelle à Paris, et les terres du Soudan aux abords du barrage de Merowe, la nécropole du désert de Sharjah aux Émirats arabes unis et la ville de Beyrouth, Ali Cherri y puise une même urgence de transmettre les récits millénaires façonnés par les gestes et les corps de ceux qui sont liés à la terre, à leur terre. Il fait surgir des objets aux identités multiples, autant artefacts archéologiques que sculptures contemporaines, des objets monstres dont la charge esthétique et émotionnelle relie le monde réel aux mythes qui s’y inscrivent en creux.

Son travail vient d’être récompensé par un Lion d’Argent à la Biennale de Venise. Un long-métrage, Le Barrage, sortira en salle cet hiver[1]. L’occasion de revenir sur quelques-uns de ses projets.

Vous présentez actuellement une installation à la Biennale de Venise composée de trois sculptures, Titans (2022), et d’une vidéo, Of Men and Gods and Mud (2022). Peu de temps après l’ouverture de la Biennale en mai dernier, votre premier long-métrage, Le Barrage (The Dam, 2022) a été montré au Festival de Cannes dans la sélection la Quinzaine des réalis


[1] Sortie nationale au cinéma prévue début 2023

[2] The Disquiet met en parallèle les catastrophes et les mouvements sismiques provoqués par les tremblements de terre et les siècles de guerre dans la région du Liban avec les corps qui, tel un sismographe, enregistrent ces mouvements, créant une forme d’intranquillité permanente.

[3] The Digger suit la déambulation quotidienne, lente et silencieuse, quasi-abstraite, de Sultan Zeib Khan, gardien solitaire des ruines d’une nécropole néolithique dans le désert de Sharjah aux Émirats arabes unis.

[4] Interview avec Jacques Rancière par Eric Loret, Libération, 17 novembre 2011

[5] El-Ariss Tarik, “Return of the Beast: From Pre-Islamic Ode to Contem-porary Novel”, Journal of Arabic Literature, no. 47, 2016, p. 66

[6] Somniculus, 2017

[7] If you prick us, do we not bleed ?, 2021, National Gallery Artist in Residence, Londres

[8] “Acrostic for Ali Cherri”, Nicole Brenez , In Earth, Fire, Water, éditions Dilecta, Paris, 2021

[9] Crosseyed and Painless, Talking Heads, 1980

Alexandra Baudelot

Critique, Commissaire d'exposition et éditrice

Notes

[1] Sortie nationale au cinéma prévue début 2023

[2] The Disquiet met en parallèle les catastrophes et les mouvements sismiques provoqués par les tremblements de terre et les siècles de guerre dans la région du Liban avec les corps qui, tel un sismographe, enregistrent ces mouvements, créant une forme d’intranquillité permanente.

[3] The Digger suit la déambulation quotidienne, lente et silencieuse, quasi-abstraite, de Sultan Zeib Khan, gardien solitaire des ruines d’une nécropole néolithique dans le désert de Sharjah aux Émirats arabes unis.

[4] Interview avec Jacques Rancière par Eric Loret, Libération, 17 novembre 2011

[5] El-Ariss Tarik, “Return of the Beast: From Pre-Islamic Ode to Contem-porary Novel”, Journal of Arabic Literature, no. 47, 2016, p. 66

[6] Somniculus, 2017

[7] If you prick us, do we not bleed ?, 2021, National Gallery Artist in Residence, Londres

[8] “Acrostic for Ali Cherri”, Nicole Brenez , In Earth, Fire, Water, éditions Dilecta, Paris, 2021

[9] Crosseyed and Painless, Talking Heads, 1980