Société

Guerre et genre :
la confiscation des corps masculins

Juriste

La mobilisation générale décidée par le président Zelensky suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie n’a jamais concerné que les hommes, actant la persistance d’une répartition genrée des rôles en temps de guerre. Si les femmes ont gagné le droit de participer à la guerre, l’ordre patriarcal impose encore aux hommes de développer une identité masculine sacrificielle et d’accepter l’inacceptable : la confiscation des corps pour la guerre.

La variable genre constitue un outil particulièrement pertinent pour comprendre les phénomènes sociaux. Formulé quasi exclusivement comme synonyme de « femmes », en théorie le genre englobe également les hommes.

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Comme le souligne Delphine Naudier, « en sciences humaines et sociales, le genre est un concept pour analyser tout ce qui se réfère aux êtres humains, à leurs relations, à leurs rapports sociaux, et aux valeurs symboliques classées traditionnellement en deux catégories : le féminin et le masculin. Le genre est, en cela, un outil scientifique pour se départir de ce que Durkheim qualifiait de prénotions, à savoir l’ensemble de nos croyances, de nos préjugés, de nos passions, de nos impressions vagues, confuses, sur les gens, les choses, le monde et ses affaires[1]. »

Concernant la guerre, l’assignation à des rôles genrés est particulièrement frappante : les hommes sont « programmés » idéologiquement pour mourir sur le champ de bataille, pour devenir de la chair à canon[2]. Il s’agit d’un élément qui structure non seulement le stéréotype masculin mais la société toute entière, au point qu’elle délègue « naturellement » la violente tâche de donner sa vie pour autrui aux hommes. De même, l’Église ira jusqu’à reconnaitre que donner la mort en combattant faisait partie des devoirs du guerrier et ne constituait pas un péché.

Ainsi, par adhésion, par sens du devoir, par patriotisme, par obéissance, par peur ou par résignation, des millions de jeunes ont endossé l’uniforme de soldat et sont partis au front en renonçant à tout : foyer, famille, travail, amis… Il suffit de regarder les prénoms gravés sur les monuments aux morts de nos villages : Jean, Pierre, François, Louis, Arsène, Joseph, Raymond… Personne ne s’étonne de l’absence de prénoms féminins. Même les vivants ont intégré l’exclusivité masculine dans la mobilité forcée, l’errance et la mort, tellement que, lorsqu’il s’agit de la guerre, nous possédons une conviction limitée quant à la nécessité du c


[1] Delphine Naudier, « Le genre, c’est quoi, au juste ? », Fondation Copernic éd., Manuel indocile de sciences sociales. Pour des savoirs résistants. La Découverte, 2019, p. 717-728.

[2] Comme le dénonçait Chateaubriand dans son pamphlet De Bonaparte et des Bourbons (1814) : « On en était venu à ce point de mépris pour la vie des hommes et pour la France, d’appeler les conscrits la matière première et la chair à canon. »

[3] Marc Michel, L’appel à l’Afrique. Contributions et réactions à l’effort de guerre en A.O.F. (1914-1919), Publications de la Sorbonne, 1982.

[4] Éric Jennings, La France libre fut africaine, Perrin, 2014.

[5] La conscription « sexuellement neutre » existe uniquement en Israël et en Norvège.

[6] François Héran, « Générations sacrifiées : le bilan démographique de la Grande Guerre », Populations et sociétés, 2014/4, n° 510.

[7] Sabine Kienitz, « Quelle place pour les héros mutilés ? Les invalides de guerre entre intégration et exclusion », 14-18. Aujourd’hui-Today-Heute, vol. 4 : Marginaux, marginalité, marginalisation, Paris, Noêsis, 2001, p. 151-165.

[8] En 2010, selon Michel Grappe, « le nombre d’enfants soldats sur la planète est évalué à 300 000 : ce phénomène de recrutement a pris une ampleur inédite avec la prolifération des armes légères dont le transport et l’usage sont à la portée d’un enfant », Perspectives Psy, vol. 53, n° 2, avril-juin 2014, p. 158-165.

[9] En indiquant comme mots clés « genre et guerre » ou « genre et conflits armés » dans les principales bases de données (Cairn, Brill, HAL…) on ne trouve aucun texte concernant la violence fait aux hommes. En revanche, de nombreux articles sont consacrés aux « femmes combattantes », à « la participation des femmes à la guerre », à « l’expérience vécue de la guerre par les femmes » aux « veuves de guerre » ou encore au « viol des femmes dans les conflits armés »…

[10] Guy Deschaumes, Derrière les barbelés de Nuremberg, Flammarion, 1947, p. 175.

Daniel Borrillo

Juriste, Maître de conférences à l'Université Paris-Nanterre

Rayonnages

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Notes

[1] Delphine Naudier, « Le genre, c’est quoi, au juste ? », Fondation Copernic éd., Manuel indocile de sciences sociales. Pour des savoirs résistants. La Découverte, 2019, p. 717-728.

[2] Comme le dénonçait Chateaubriand dans son pamphlet De Bonaparte et des Bourbons (1814) : « On en était venu à ce point de mépris pour la vie des hommes et pour la France, d’appeler les conscrits la matière première et la chair à canon. »

[3] Marc Michel, L’appel à l’Afrique. Contributions et réactions à l’effort de guerre en A.O.F. (1914-1919), Publications de la Sorbonne, 1982.

[4] Éric Jennings, La France libre fut africaine, Perrin, 2014.

[5] La conscription « sexuellement neutre » existe uniquement en Israël et en Norvège.

[6] François Héran, « Générations sacrifiées : le bilan démographique de la Grande Guerre », Populations et sociétés, 2014/4, n° 510.

[7] Sabine Kienitz, « Quelle place pour les héros mutilés ? Les invalides de guerre entre intégration et exclusion », 14-18. Aujourd’hui-Today-Heute, vol. 4 : Marginaux, marginalité, marginalisation, Paris, Noêsis, 2001, p. 151-165.

[8] En 2010, selon Michel Grappe, « le nombre d’enfants soldats sur la planète est évalué à 300 000 : ce phénomène de recrutement a pris une ampleur inédite avec la prolifération des armes légères dont le transport et l’usage sont à la portée d’un enfant », Perspectives Psy, vol. 53, n° 2, avril-juin 2014, p. 158-165.

[9] En indiquant comme mots clés « genre et guerre » ou « genre et conflits armés » dans les principales bases de données (Cairn, Brill, HAL…) on ne trouve aucun texte concernant la violence fait aux hommes. En revanche, de nombreux articles sont consacrés aux « femmes combattantes », à « la participation des femmes à la guerre », à « l’expérience vécue de la guerre par les femmes » aux « veuves de guerre » ou encore au « viol des femmes dans les conflits armés »…

[10] Guy Deschaumes, Derrière les barbelés de Nuremberg, Flammarion, 1947, p. 175.