Iran : de la crise de la famille à la crise politique ?

Je me souviens avoir revu, au milieu des années 1980, dans les jours les plus sombres de la guerre contre l’Irak, un grand poète d’avant la révolution, d’inspiration mystique, libertaire et même assez libertin, célèbre pour sa dénonciation littéraire de la répression, que ce fût celle du shah ou celle de la République, intime de l’un des principaux dirigeants de celle-ci. Il se félicitait de la sécurité qu’apportait le nouveau régime en instituant son ordre moral et son contrôle, aussi bien des femmes que de la jeunesse. Déclaration de prime abord surprenante dans sa bouche, puisqu’il n’avait pas été le dernier à fréquenter les cabarets, voire bien pis. Mais, au fond, le paradoxe n’est-il pas qu’apparent ? Car ce genre de propos me semble révélateur des contradictions de la société iranienne en matière de mœurs et de genre.
Depuis plusieurs années autorités politiques, religieuses et intellectuelles de la République islamique d’Iran font part de leur inquiétude quant à la crise de la famille dans le pays. Ces assertions recoupent un sentiment diffus assez général dans la société iranienne. Néanmoins, à y regarder et à y écouter de plus près, force est de reconnaître que l’on parle moins de la famille que de maux sociaux spécifiques, tels que le divorce, la drogue, le concubinage, la délinquance juvénile, la dissolution des mœurs. La notion de famille (khanevadeh) est très peu utilisée au quotidien, au contraire de celle de société (edjtema), même s’il est clair que l’une est la condition de l’autre. Il n’empêche que ce que les sciences sociales ont coutume de nommer famille est aujourd’hui au cœur du débat public en Iran, et peut fournir en soi une focale utile pour reconsidérer l’histoire contemporaine du pays, singulièrement celle de la République qui est née de la révolution de 1979.
La place des femmes fut au centre du débat public, que cristallisa l’enjeu du voile, plus que celle du droit de vote, dès lors que l’ayatollah en accepta le principe en 197