International

L’Europe au défi d’une Italie nationaliste et laïque

Politiste

Les résultats de l’élection générale italienne continuent d’alimenter les réflexions sur le destin politique de ce pays et son impact sur l’Europe. En donnant la victoire à des partis qui défendent d’abord leurs seuls intérêts nationaux et la laïcisation de la politique, les Italiens s’affirment comme un négociateur plus raide que par le passé. Dans leur viseur, les mesures d’austérité imposées au pays et le manque de solidarité vis-à-vis de la crise migratoire.

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Les premières analyses de l’élection générale italienne du 4 mars 2018 ont beaucoup insisté, et à juste titre, sur la lourde défaite du Parti démocrate (PD) de Matteo Renzi (18,7 % des suffrages) et sur le succès des deux partis semblant désormais destinés à dominer la vie politique italienne en dépit de leur radicalité respective : la Ligue de Matteo Salvini (17,4 % des suffrages) et le Mouvement 5 Étoiles (M5S) de Luigi di Maio (32,7 % des suffrages). Ces succès s’inscrivent dans un double phénomène à l’œuvre dans la vie politique italienne depuis plus d’un quart de siècle : sa re-nationalisation – entendue comme l’affirmation de partis déliés d’allégeances internationalistes ou européistes au profit de ceux prônant la défense des intérêts de la nation italienne ou des Italiens – et sa laïcisation – comprise ici au double sens de détachement vis-à-vis du poids de l’Église catholique dans les choix électoraux et d’affirmation d’un rapport plus critique, qu’il soit jugé rationnel ou instrumental, à toute offre politique.

L’histoire politique italienne d’après la Seconde Guerre mondiale avait vu la domination de partis politiques qui, par opposition au fascisme, se définissaient par leur antinationalisme.

Comme la plupart des commentateurs l’ont remarqué, l’Europe apparaît comme la première perdante de ces élections du 4 mars 2018. Sauf à s’illusionner sur le déroulé des dernières années, il ne fait guère de doute que la politique économique d’austérité imposée à l’Italie depuis novembre 2011 avec l’entrée en fonction du gouvernement Monti et l’incapacité des partenaires européens à comprendre ou à soulager les difficultés occasionnées à l’Italie par la crise migratoire en Méditerranée constituent les premiers moteurs des présentes évolutions électorales. Les défis lancés à l’Europe par cette défaite en rase campagne dans l’un de ses six pays fondateurs ne tient pourtant pas tant, d’ailleurs, aux intentions immédiates en matière européenne que portent les deux partis vainqueurs – le M5S a ainsi abandonné l’idée d’aller vers une sortie de l’euro et la Ligue reste pour l’heure alliée avec Forza Italia (FI), un parti membre du Parti populaire européen (PPE) – qu’au fait qu’ils n’intègrent, ni l’un ni l’autre, dans leur projet partisan une dimension internationaliste ou européiste. Tous deux se sont en effet constitués et affirmés comme des partis de défense d’intérêts territorialisés limités à la seule Italie : à la seule Italie du Nord dans le cas de la Ligue, ou à des combats écologiques parfois très locaux dans celui du M5S (comme par exemple la lutte dans la vallée de Suse contre la nouvelle liaison ferroviaire à grande vitesse franco-italienne).

L’histoire politique italienne d’après la Seconde Guerre mondiale avait vu, au contraire, la domination de partis politiques qui, par opposition au fascisme, se définissaient par leur antinationalisme. Ils avaient doté, en 1948, la République italienne d’une Constitution qui l’inscrivait d’emblée dans l’ordre juridique international. Sauf pour les néofascistes, la Nation était alors une idée morte en Italie. La « Première République » (1946-1992) était dominée par des partis – démocrates-chrétiens, socialistes et communistes –, qui se trouvaient au cœur de leurs Internationales respectives. L’européisme de la Démocratie Chrétienne (DC), au pouvoir sans interruption de 1946 à 1992, l’avait même mis à la tête de ce que certains appelèrent « l’Europe vaticane », bientôt rejointe sur cette ligne par le Parti socialiste italien (PSI) dans les années 1960 et même le Parti communiste italien (PCI) à la fin des années 1980.

La « Seconde République » (1993-2018) fut plutôt dominée par des acteurs partisans se rattachant à droite au PPE et à gauche au Parti socialiste européen (PSE). Mais, déjà dans leurs familles politiques respectives, ces nouveaux partis étaient atypiques, amorçant cette tendance à la re-nationalisation achevée aujourd’hui. À droite, Forza Italia (FI, littéralement« Allez l’Italie ! »), créé comme un parti libéral-conservateur se voulant semblable au vénérable Parti conservateur britannique, en reprenait les intonations thatchériennes et eurosceptiques. En 1998, alors relégué dans l’opposition, il fut pourtant admis au sein du PPE suite à une diplomatie pour le moins tortueuse. FI se distingua toujours des autres partis du PPE par une existence et une organisation liée à la seule personne de son fondateur, Silvio Berlusconi. Tous les autres grands partis du PPE (CDU et CSU en Allemagne, Les Républicains en France, Partido Popular en Espagne, PO en Pologne) peuvent eux se prévaloir d’un capital politique collectif inscrit dans des routines organisationnelles. Ils ne sont pas la simple propriété de fait d’un individu.

À gauche, le principal parti, successivement le Parti démocrate de la gauche (PDS), les Démocrates de gauche (DS), et enfin le Parti démocrate (PD), fut dominé jusqu’en 2013 par un groupe dirigeant – parfois appelé « la firme » par ses opposants, dans les années 2010 – issu de l’ancienne majorité du PCI d’avant 1990. Cette particularité tenait à l’écroulement du PSI, suite aux scandales « Mains Propres », dont la place fut donc occupée par un « parti successeur » pour user d’un terme en usage dans l’Est de l’Europe. Ce dernier passa de l’internationalisme prolétarien à l’européisme néo-libéral sans autre forme de procès – comme ses équivalents polonais ou hongrois. L’arrivée à la tête du PD de Matteo Renzi en 2013 sembla marquer la fin de cette domination des post-communistes sur la gauche de gouvernement au profit de l’autre filiation de cette même gauche, celle venue de l’aile gauche de la DC d’avant 1993. Toutefois, même le PD sous la houlette dudit Renzi montra son détachement vis-à-vis des multiples traditions internationalistes dont il était issu pour séduire l’électorat italien. En effet, ce dernier caressa un temps l’idée de faire du PD le « parti de la Nation ». Cette expression pour le moins vague entendait positionner le PD comme l’avocat naturel des Italiens en Europe – ce qui lui assura d’ailleurs un extraordinaire succès électoral aux élections européennes de 2014, avec 40 % des voix. Son échec de 2018 tient au moins pour une part à son incapacité à jouer adéquatement ce rôle qu’il s’était attribué.

Il est abusif de parler d’un « désir de fascisme » mais il est légitime de décrire un net repli sur des discours de défense des intérêts strictement nationaux.

Quant à la « Troisième République » qui semble s’ouvrir avec les présentes élections, elle paraît devoir être dominée par deux partis bien peu internationalistes ou européistes. Depuis 2015, la Ligue siège au Parlement européen au sein du groupe « Europe des nations et des libertés » au côté entre autres du Front national, du FPÖ et du VVD. Elle fait aussi partie avec les mêmes larrons de l’un des partis de l’extrême droite européenne : le Mouvement pour l’Europe des nations et des libertés fondé en 2015. Quant au M5S, il participe depuis 2014 au groupe « Europe de la liberté et de la démocratie directe » dont l’UKIP forme l’autre pilier. Il n’a pas d’affiliation partisane européenne, ne se reconnaissant aucun équivalent ailleurs en Europe. À l’inverse, si l’on s’interroge sur les scores électoraux des partis inscrits dans une démarche européiste ou internationaliste, comme les post-DC de toutes obédiences, les Radicaux, les Verts, le PSI, ou même la tentative de Pouvoir au peuple (PaP) – avec le soutien de Jean-Luc Mélenchon – de recréer une gauche de gauche, on obtiendra à eux tous pas plus de 6 % de l’électorat. Chiffre qu’on comparera au score cumulé de 5,6 % des listes liées directement au seul héritage néofasciste : 4,3 % pour Frères d’Italie (FdI) de Giorgia Meloni – le seul parti inscrit dans l’alliance des droites –, 0,9 % pour « les fascistes du XXIe siècle » de Casa Pound, et 0,4 % pour le regroupement de deux autres partis néofascistes.

Vue dans le temps long, la situation italienne de 2018 est donc celle de l’affirmation de tous les partis portant un discours avant tout national ou nationaliste. D’un point de vue d’économie politique, il est difficile de ne pas voir dans ce résultat le choc en retour des choix en faveur de l’intégration européenne effectuée par tous les partis de gouvernement italien depuis 1948. Ceux-ci ont visiblement mal négocié l’équilibre des droits et devoirs de l’Italie face à ses partenaires. Il serait toutefois abusif de parler d’un « désir de fascisme » à ce propos, comme une psychanalyste de renom s’est crue autorisée à le dire, puisque le vote néo-fasciste reste marginal, mais il est légitime de décrire un net repli sur des discours de défense des intérêts strictement nationaux.

Par ailleurs, non sans lien bien sûr avec ce qui précède, il ne pourra échapper que l’instance à la fois absente et défaite des élections italiennes du 4 mars 2018 n’est autre que l’Église catholique. Par la voix de ses représentants autorisés, elle a certes dénoncé, comme les économistes néo-libéraux, les promesses fallacieuses en matière économique de tous les partis, et, de fait, comme ces derniers, elle n’a pas du tout été entendue. Les partis qui ont été le plus loin dans lesdites promesses d’un nouveau pays de Cocagne ont été au contraire les triomphateurs de cette élection. Une fois les résultats connus, le Président de la Conférence épiscopale italienne en fut alors réduit à souhaiter un gouvernement dans l’intérêt général du pays. Sur le plan des valeurs, leur résultat constitue même une défaite personnelle pour le pape François, aussi bien de sa vision chrétienne de l’hospitalité envers l’étranger que de l’intégration européenne. Cette laïcisation correspond plus concrètement à trois phénomènes : la confirmation de la disparition de toute possibilité de parti explicitement catholique ; le basculement d’une bonne part de l’électorat modéré vers une Ligue niant tout principe d’hospitalité ; l’enracinement d’un parti, le M5S, porteur d’une vision totalement laïque des problèmes à affronter par la société italienne.

La religion ne semble garder quelque importance que si on l’envisage comme l’un des éléments de l’identité nationale des Italiens à opposer à l’immigration.

Cela a peu été remarqué, mais les listes qui couvraient au centre respectivement la coalition des droites et celle du PD ont connu l’échec. À droite, la liste Nous pour l’Italie (NpI), qui regroupait d’anciens démocrates-chrétiens de droite et des ex-dirigeants de FI et qui affichait le symbole historique de la DC dans son logo, n’a pas dépassé 1,1 % des suffrages. À gauche, les deux listes Civique populaire (CP) et Italie Europe ensemble (IEe), qui comprenaient une présence d’anciens démocrates-chrétiens de gauche (dont Romano Prodi, un ex-président de la Commission européenne), ont attiré respectivement 0,5 % et 0,6 % des suffrages. Par contre, la liste +Europe, menée par la leader historique des Radicaux, Emma Bonino, et donc plus laïque, a réussi à obtenir 2,5 % des voix. Cela correspond au niveau des électeurs à la perte d’importance du facteur religieux (entendue comme la fréquentation de la messe) dans le choix électoral. Selon l’enquête post-électorale IPSOS, le PD, FI et NpI attirent un peu plus de catholiques allant à la messe toutes les semaines que les autres partis, mais sans que cela constitue la marque déterminante de leurs électorats respectifs et que l’un d’eux puisse incarner les catholiques en politique.

De fait, la religion ne semble garder quelque importance que si on l’envisage comme l’un des éléments de l’identité nationale des Italiens à opposer à l’immigration. En effet, lors de son meeting de clôture de sa campagne électorale, Matteo Salvini, le leader de la Ligue, jura ostensiblement sur un chapelet qu’il resterait fidèle à ses engagements de campagne. Ce geste pourrait paraître folklorique de la part de ce leader nationaliste. Il n’est pourtant pas sans rapport avec les résultats électoraux. Pour la première fois de son histoire commencée en 1991, la Ligue dépasse son allié FI avec 17,4 % des suffrages. Le parti de Berlusconi connaît son pire score national, avec seulement 14 % des voix. Ce changement de rapport de force au sein des droites n’est pas sans rapport avec ce chapelet, puisque, selon les enquêtes portant sur les flux électoraux, c’est bien l’électorat conservateur qui bascule ainsi vers la radicalité incarnée par la Ligue. Une très longue histoire se poursuit ainsi. Dès son émergence électorale dans les années 1989-1991, la Ligue du Nord avait été analysée par les politistes italiens au vu de la géographie bien particulière de ses résultats électoraux comme le fruit de la dissolution de l’encadrement démocrate-chrétien des électeurs modérés du Nord du pays, en particulier en Vénétie et en Lombardie. Le « Nord profond », comme on disait alors, était constitué des mêmes terres qui avaient plébiscité la DC en 1946 et 1948. L’apparition de FI en 1994 avait lui aussi conquis cet électorat d’une DC en déshérence. Or ce « Nord profond » reste fidèle à son orientation de droite, de nature « anthropologique » comme l’a dit récemment l’historien Marc Lazar, en plébiscitant cette fois-ci la Ligue avec des scores dépassant les 30 %.

La réussite de la Ligue s’inscrit dans une montée en puissance de partis qui se réfèrent à l’identité chrétienne de l’Europe et y voient un motif de refuser toute immigration extra-européenne.

Surtout, la Ligue, en perçant dans l’électorat modéré, indique la divergence profonde entre les appels à la solidarité envers les migrants de la part de la hiérarchie catholique, l’action des associations d’obédience catholique en faveur de ces derniers et la perception de l’immigration dans l’électorat modéré. Dès ses premiers succès électoraux dans les années 1990, la Ligue du Nord est en effet le grand entrepreneur du racisme, de la xénophobie, de la hantise de la submersion migratoire, bien avant d’ailleurs d’être rejointe sur cette ligne par les néo-fascistes. Contrairement à ce qui a pu être dit parfois dans les médias, Matteo Salvini n’innove nullement sur ce point. Au contraire, il s’appuie sur cette xénophobie fondatrice de la Ligue du Nord pour aller à la conquête de tous les Italiens. La Ligue actuelle est en effet le fruit de la transformation par son leader depuis 2013 d’une organisation qui visait à sa création en 1991 à défendre l’électorat du Nord du pays contre les menées des « méridionaux » (paresseux, assistés, mafieux) et de l’État italien qu’ils étaient censés dominer. Elle flirtait même avec l’idée de sécession du Nord de l’Italie sous le nom de Padanie, qui donnait d’ailleurs son nom officiel au parti jusqu’à ces dernières semaines (« Ligue du Nord pour la sécession de la Padanie »). Depuis 1999, la Ligue du Nord était redevenue une alliée indéfectible de l’alliance des droites organisée sous la direction de Silvio Berlusconi depuis 1994, et, en sus de sa raison sociale anti-méridionale, elle s’était spécialisée dans la dénonciation de l’immigration et de l’intégration européenne.

La participation à cette alliance des droites lui a assuré une forte implantation dans les administrations locales du Nord de la Péninsule et une participation aux gouvernements Berlusconi en 1994, 2001-2006, et 2008-2011. Or la LN s’était trouvée en très grande difficulté en 2013 suite aux déboires judiciaires de son leader historique, Umberto Bossi. Il n’avait alors passé que de peu la barre de 4 % des suffrages pour avoir une représentation parlementaire. C’est ce parti (macro-)régionaliste – mais déjà aussi xénophobe – que Matteo Salvini a transformé à grands renforts de tweets, de posts sur Facebook et d’omniprésence télévisuelle en un parti nationaliste de droite visant à séduire tous les Italiens sans exceptions du Nord au Sud du pays sur une ligne fort similaire à celle de tous les partis de la droite radicale européenne. Sa réussite s’inscrit aussi dans une montée en puissance ailleurs en Europe de partis qui se réfèrent à l’identité chrétienne de l’Europe et y voient un motif de refuser toute immigration extra-européenne, en particulier si elle provient de pays musulmans. Ils mettent en avant le christianisme comme identité pérenne de leur pays, tout en rejetant de plus en plus vivement le devoir d’hospitalité et l’universalisme dont se veut porteur l’Église catholique.

L’obsession anti-idéologique du M5S et son pragmatisme aussi revendiqué que virevoltant correspondent bien à cette laïcisation de l’électorat.

Quant au M5S, force est de constater qu’il constitue l’autre illustration de ce tournant laïque de la politique italienne. Rappelons que, contrairement à la Ligue, le M5S est une création bien plus récente. Créé à l’automne 2009, ce parti a pour caractéristique de n’avoir contracté à ce jour aucune alliance pré- ou post-électorale. Il entend regrouper tous les électeurs qui ne se reconnaissent dans aucun parti ou idéologie. Selon que l’on lui sera favorable ou défavorable, on pourra y voir, soit le fruit d’une habile manipulation de l’électorat par ses deux créateurs, l’humoriste Beppe Grillo et l’entrepreneur Gianfranco Casaleggio (et son fils Davide Casaleggio qui, à son décès au printemps 2016, lui a succédé à la tête de l’entreprise), soit l’émergence d’une façon nouvelle de faire de la politique en réintroduisant la volonté populaire dans la vie d’un parti politique grâce à l’usage des nouvelles technologies de l’information, soit un mixte des deux. De fait, comme le M5S mélange des idées de droite et de gauche – mais pas de centre au sens de démocrate-chrétien –, le positionnement idéologique du M5S variera donc du tout au tout selon l’observateur. Certains le voient très à droite, d’autres très à gauche, d’autres désormais très au centre – au sens de sa capacité à agréger comme la DC du temps de sa gloire tout et son contraire. Son nouveau « chef politique », un jeune Napolitain de 31 ans, Luigi Di Maio, semble plutôt représenter l’aile droite du mouvement, mais la marque du M5S reste le « ni de droite, ni de gauche » en tant que refus de s’inscrire dans une histoire politique italienne marquée par ces catégories et « et de droite et de gauche » dans les solutions proposées.

Son obsession anti-idéologique, sa revendication d’un aplatissement de ses propositions sur la volonté de la majorité des Italiens (identifiée avec la volonté de ceux qui s’expriment dans sa démocratie interne sous forme électronique), son pragmatisme aussi revendiqué que virevoltant, correspondent bien à cette laïcisation de l’électorat engagé dès les années 1970 quand la remise de soi des électeurs aux grands partis de masse idéologiques devient moins évidente. Pour ces élections du 4 mars 2018, le succès du M5S au sud du pays et dans les îles correspond par ailleurs à une caractéristique bien connue de l’électorat méridional : sa volatilité. En effet, contrairement aux électorats du Nord et du centre de l’Italie à la loyauté forte vis-à-vis d’un camp marqué idéologiquement, le Sud a toujours voté en fonction de ce qui pouvait être perçu par ses électeurs comme son intérêt matériel du moment. Les analystes ont alors vu ce vote méridional, soit comme l’expression d’une demande de clientélisme de masse, soit comme un vote rationnel peu séduit par les promesses toujours repoussées d’un avenir radieux tenus par les deux camps qui ont alterné au pouvoir depuis 1994. Le vote massif des électeurs du Sud de l’Italie en faveur du M5S doit ainsi d’abord être vu comme l’expression d’une détresse matérielle de cette région.

Au total, cette montée en puissance de partis, anciens ou nouveaux, décidés à défendre les seuls intérêts nationaux des Italiens et la laïcisation de la politique dans laquelle ils s’inscrivent, devrait faire du partenaire italien au niveau européen un négociateur bien plus raide que par le passé. Même si l’existence de l’euro n’est sans doute pas menacée à court terme, il faudra bien que la politique économique et sociale poursuivie en Europe s’adapte désormais aux besoins de la population italienne, faute de quoi il y a fort à parier qu’à l’étape suivante, c’est de prise de distance de l’Italie vis-à-vis de l’intégration européenne dont il pourrait bien être directement question.


Christophe Bouillaud

Politiste, Professeur de science politique à l’Institut d’Études politiques de Grenoble

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