Droit

La fraternité est constitutionnelle mais la solidarité reste un délit

Juriste

Le 6 juillet dernier, la valeur constitutionnelle de la fraternité a été confirmée, consacrant au passage une liberté nouvelle : la liberté d’aider autrui – à titre humanitaire – quelle que soit sa situation au regard de la législation sur l’immigration. Comment expliquer alors que le délit de solidarité existe toujours ? Un examen juridique précis des décisions sur le sujet permet d’éclaircir les enjeux d’une immunité humanitaire limitée par l’exigence de lutte contre l’immigration irrégulière.

Contrairement à ce qu’ont titré la plupart des médias suite à la décision n° 2018/717-718 QPC Cédric Herrou et P-A. Mannoni du 6 juillet 2018, le Conseil constitutionnel n’a pas « aboli » le « délit de solidarité », c’est-à-dire l’incrimination de l’aide à l’entrée, au séjour ou à la circulation irréguliers régie par l’article L. 622-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers en France (CESEDA).  Certes, dans une décision qui fera date, le juge constitutionnel a constaté la valeur constitutionnelle du principe fraternité – comme le défendait de longue date le Professeur Michel Borgetto. Il a surtout donné un contenu précis à ce principe en consacrant une liberté nouvelle – la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de sa situation administrative. Néanmoins, tempérant ce principe en le conciliant avec l’objectif de « lutte contre l’immigration irrégulière », le juge constitutionnel estime qu’il ne peut jouer que pour les exemptions au délit d’aide au séjour et à la circulation irréguliers, à l’exclusion de l’aide, même à titre humanitaire, à l’entrée irrégulière. Entrant immédiatement dans cette interstice, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb s’est satisfait dans un communiqué du 6 juillet 2018, d’une décision qui, selon lui, « conforte la position qu’a tenue le Gouvernement lors du débat sur le projet de loi asile, immigration et intégration » et réaffirme que l’immunité humanitaire « ne doit pas s’étendre à l’aide apportée dans un but militant »

Le ou, plutôt, les « délits de solidarité » ne sont pas un concept juridique. Il s’agit d’une expression militante forgée afin de désigner toutes les incriminations pénales qui sont susceptibles d’être utilisées, ou instrumentalisées, par les pouvoirs publics afin de dissuader ou réprimer l’aide désintéressée apportée par des citoyens ou des associations à des migrants sans-papiers (l’expression apparaît en 2003 dans le « manifeste des délinquants de la solidarité »). L’incrimination


[1] Notre collègue Paul Cassia critique donc, avec raison, les « Unes » de journaux comme Le Figaro  du 6 juillet ou Le Monde du 7 juillet 2018 qui annoncent, à tort et comme le plupart des médias, l’abolition ou l’invalidation du « délit de solidarité ». Voir contra l’analyse juste : Kim Hullot-Guiot et Ulysse Bellier, « «Délit de solidarité» : la fraternité érigée en principe constitutionnel », Libération, 6 juillet 2018.

[2] Préambule de 1958 : « la République offre aux territoires d’Outre-Mer qui manifestent la volonté d’y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l’idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique » et à l’article 72-3 de la Constitution, que « la République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité ».

[3] En revanche le Conseil d’État a déjà eu l’occasion, en référé-liberté, de reconnaître la dignité de la personne humaine comme une liberté fondamentale invocable par des particuliers (cf. Véronique Champeil-Desplats et Serge Slama, « Qu’elle protège ou qu’elle punisse, la dignité n’est pas la même pour tous »; CE, 23 novembre 2015, Ministre de l’intérieur commune de Calais)

[4] Suite à la décision du 6 juillet 2018 le duo (comique ?) Guillaume Larrivé et Eric Ciotti a néanmoins déposé sur le projet de loi constitutionnel un amendement surréaliste visant à permettre au législateur de neutraliser une décision du Conseil constitutionnel. Voir le communiqué sur le compte tweeter de G. Larrivée.

[5] Le Conseil constitutionnel avait déjà admis la restriction de la liberté individuelle des étrangers au nom de cet objectif qu’il a consacré en 2011.

6] Pour l’aide à l’entrée ou à la circulation, l’article 1er de cette directive prescrit aux États d’adopter des sanctions appropriées à l’encontre de quiconque « aide sciemment » un ressortissant d’un État tiers de l’Union européenne « à pénétrer » ou à « transiter »

Serge Slama

Juriste, Professeur de droit public à l'Université Grenoble-Alpes

Notes

[1] Notre collègue Paul Cassia critique donc, avec raison, les « Unes » de journaux comme Le Figaro  du 6 juillet ou Le Monde du 7 juillet 2018 qui annoncent, à tort et comme le plupart des médias, l’abolition ou l’invalidation du « délit de solidarité ». Voir contra l’analyse juste : Kim Hullot-Guiot et Ulysse Bellier, « «Délit de solidarité» : la fraternité érigée en principe constitutionnel », Libération, 6 juillet 2018.

[2] Préambule de 1958 : « la République offre aux territoires d’Outre-Mer qui manifestent la volonté d’y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l’idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique » et à l’article 72-3 de la Constitution, que « la République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité ».

[3] En revanche le Conseil d’État a déjà eu l’occasion, en référé-liberté, de reconnaître la dignité de la personne humaine comme une liberté fondamentale invocable par des particuliers (cf. Véronique Champeil-Desplats et Serge Slama, « Qu’elle protège ou qu’elle punisse, la dignité n’est pas la même pour tous »; CE, 23 novembre 2015, Ministre de l’intérieur commune de Calais)

[4] Suite à la décision du 6 juillet 2018 le duo (comique ?) Guillaume Larrivé et Eric Ciotti a néanmoins déposé sur le projet de loi constitutionnel un amendement surréaliste visant à permettre au législateur de neutraliser une décision du Conseil constitutionnel. Voir le communiqué sur le compte tweeter de G. Larrivée.

[5] Le Conseil constitutionnel avait déjà admis la restriction de la liberté individuelle des étrangers au nom de cet objectif qu’il a consacré en 2011.

6] Pour l’aide à l’entrée ou à la circulation, l’article 1er de cette directive prescrit aux États d’adopter des sanctions appropriées à l’encontre de quiconque « aide sciemment » un ressortissant d’un État tiers de l’Union européenne « à pénétrer » ou à « transiter »