La mondialisation du football chinois : en route pour la Coupe du monde 2030
Alors qu’on a pu constater la domination du football européen lors de la Coupe du monde qui vient de s’achever en Russie, comme l’atteste la présence dans le dernier carré de quatre équipes européennes (Angleterre, Belgique, Croatie, France), il convient de remarquer que, sans être qualifiée, la Chine fut également représentée à travers le sponsoring de Wanda auprès de la FIFA. En effet, ce conglomérat chinois détient les contrats de sponsoring de la FIFA allant de la Coupe du Monde actuelle jusqu’à celle de 2030, qui devrait justement être organisée par la Chine. Or, un tel attrait de la Chine pour le football n’est pas anodin et reflète en fait une stratégie graduelle bien ancrée allant du court terme jusqu’au long terme.
En effet, l’industrie du sport est en plein essor en Chine au cours de la dernière décennie (Lio, Zhang et Desbordes, 2017 [1]), de sorte que le football chinois effectue son « grand bond en avant » (Llorca, Gao et Bayle, 2017 [2]). Il connaît ainsi une nette revalorisation par rapport à la décennie 2000 marquée par une mauvaise image du football chinois, et des scandales de corruption à répétition.
Depuis 2015, la Super Ligue Chinoise (SLC) se caractérise ainsi par un afflux massif de capitaux en provenance des propriétaires des clubs, des sponsors et des droits TV, qui permettent aux clubs chinois d’attirer des joueurs étrangers (Tevez, Oscar, Hulk, Lavezzi, Pato…) et des coachs (Lippi, Scolari, Villas-Boas, Ericsson…) de renom en contrepartie de dépenses de transferts et de salaires exorbitants. L’argentin Carlos Tevez joue ainsi au club de Shanghai Shenhua et reçoit un des salaires les plus élevés au monde dans le football (hors contrats de sponsoring) avec près de 40 millions d’euros par an ! Cet essor du football chinois dépasse le territoire chinois et se manifeste également dans le football européen à travers des investissements chinois réalisées dans les équipes européennes. En avril 2017, le club du Milan AC fut vendu à un consortium chinois pour 740 millions d’euros, ce qui représente à ce jour le plus gros investissement chinois dans un club européen.
Parmi les 20 joueurs de football les mieux payés au monde en 2017, 10 jouaient en Chine.
La SLC est composée de 16 équipes et la saison dure de mars jusqu’à novembre, ce qui se traduit par une forte activité des clubs chinois sur le marché des transferts (mercato) hivernal. Les recettes de la SLC ont atteint 1 047 millions de dollars en 2016 (contre 1500 millions de dollars pour la Ligue 1), soit plus du double de la Major League Soccer (le championnat de soccer aux États-Unis). Le club le plus riche de SLC est le Guangzhou Evergrande : son budget s’élève à 114 millions de dollars, budget bien supérieur, par exemple, à celui du Los Angeles Galaxy (63 millions de dollars). Le club de Guangzhou est l’équipe à battre puisque depuis sa promotion en SLC en 2011 (faisant suite à une relégation en 2010 pour cause de match truqué en 2006), elle a remporté tous les championnats depuis (soit six titres d’affilée) et a gagné par deux fois la Ligue des champions d’Asie (en 2013 et 2015).
Le boom dans le football chinois se manifeste ainsi par trois caractéristiques, similaires à celles que connaît le football européen, à savoir :
1) Un montant croissant des dépenses de transferts et des salaires des coachs et des joueurs étrangers dans la SLC.
Ainsi, plus de 40% des joueurs représentés dans la SLC en 2016 sont de nationalité brésilienne. Par ailleurs, le transfert le plus important en Chine est celui d’Oscar, de Chelsea au club de Shanghai SIPG, pour 70 millions d’euros en décembre 2016. Enfin, parmi les 20 joueurs de football les mieux payés au monde en 2017, 10 jouaient en Chine [3] !
2) Une hausse des contrats sponsorings et des droits télévisuels pour le championnat domestique mais aussi pour les ligues étrangères.
Sur la période 2015 – 2020, la SLC fait l’objet d’un nouveau contrat de droits télévisuels record de la part du groupe chinois public China Media Capital pour un montant de 1,25 milliards de dollars, soit 250 millions de dollars par an contre 75 millions de dollars par an pour la MLS. En outre, le diffuseur chinois PPTV a acquis en novembre 2016 pour 660 millions d’euros les droits télévisuels de la Premier League anglaise de la saison 2019-20 à 2021-22. Le tarif de l’acquisition représente un montant douze fois plus important par rapport au montant déboursé par le media chinois Super Sports Media Group sur la période 2012-13 à 2018-19.
Les supporters chinois seraient autour de 40 000 à 60 000 à s’être déplacés pour la Coupe du Monde de Russie, constituant ainsi le neuvième pays le plus représenté, alors même que l’équipe nationale ne s’est pas qualifiée.
La Chine devient ainsi le marché international le plus lucratif pour la Premier League. L’Empire du Milieu possède également des droits télévisuels liés à la Ligue 1 : la société espagnole Mediapro, qui a obtenu la diffusion des meilleures affiches de la Ligue 1 de 2020 à 2024 pour 1,153 milliards d’euros par saison, est en fait détenue à 53,5 % par le fonds privé chinois Orient Hontai Capital.
3) Des affluences en hausse
L’affluence moyenne en SLC dépasse les 24 000 spectateurs en 2016, un niveau supérieur à celui constaté en Ligue 1 (21 208 spectateurs pour la saison 2016-17). Cet engouement de la part des fans chinois dépasse même les frontières de la Chine puisque selon China News Service, les supporters chinois seraient autour de 40 000 à 60 000 à s’être déplacés pour la Coupe du Monde de Russie, constituant ainsi le neuvième pays le plus représenté, alors même que l’équipe nationale ne s’est pas qualifiée.
En outre, la mondialisation du football chinois ne se limite pas uniquement au championnat domestique et touche également l’Europe à travers des prises de participations en Europe dans les clubs de football anglais (Manchester City, Liverpool, Aston Villa…), italien (Milan AC, Inter Milan…), espagnol (Atlético Madrid, Espanyol Barcelone…) ou français (Lyon, Nice, Auxerre, Sochaux). Seul le championnat allemand n’est pas touché par cette vague de participation chinoise en raison de la règle 50 + 1 qui assure que les membres du club conservent la majorité des droits de vote.
Malgré ce développement rapide du football en Chine, les résultats sportifs de l’équipe nationale des Dragons ne sont pas à la hauteur des moyens financiers engagés.
Deux parties prenantes sont à l’origine de cette explosion du football chinois. D’une part, l’Etat via son président Xi Jinping, fan de football qui a lancé en mars 2015 un plan général pour réformer le football en Chine. La stratégie porte sur trois étapes : le développement de la SLC et des infrastructures sportives à court terme ; le perfectionnement des joueurs chinois à moyen terme ; l’organisation de la Coupe du monde (en 2030) et la victoire à cette compétition (en 2050) à long terme. L’État prend ainsi en charge l’investissement en infrastructures (stades, écoles de football) et l’éducation à travers l’introduction du football en Chine du collège à l’université.
D’autre part, les conglomérats chinois, tels qu’Alibaba, Dalian Wanda, Suning ou encore Evergrande investissement dans le football domestique et étranger pour obtenir en retour des intérêts financiers (stratégie de diversification de leurs activités) mais également les faveurs politiques de Xi Jinping, comme des crédits d’impôt par exemple.
Malgré ce développement rapide du football en Chine, les résultats sportifs de l’équipe nationale des Dragons ne sont pas à la hauteur des moyens financiers engagés. Le football chinois, via la SLC, dispose toutefois d’un énorme potentiel :
1) Il n’existe pas de ligues concurrentes en Chine à la MLS.
2) Du fait du décalage horaire, la SLC n’est pas en concurrence avec les ligues européennes.
3) La taille de la population chinoise (deux fois la population entière de l’Europe et près de quatre fois celle des Etats-Unis) offre un énorme potentiel de téléspectateurs pour le marketing et le sponsoring.
4) Les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi), géants du net chinois, peuvent investir dans le football.
Enfin, à partir de la Coupe du Monde 2026, co-organisée par le Canada, les États-Unis et le Mexique, 48 pays participeront à la compétition, au lieu de 32. Une telle réforme aidera la Chine à se qualifier plus facilement, la zone Asie obtenant ainsi quatre qualifiés supplémentaires par rapport à l’édition actuelle.