Où va la Cour Suprême ?
L’annonce de la démission du juge Kennedy le 27 juin, puis la désignation, par le président Trump, le 9 juillet – c’est-à-dire dans un temps record – de Brett Kavanaugh, juge à la Cour fédérale d’appel de Columbia, pour lui succéder à la Cour suprême des États-Unis ont déclenché le torrent habituel de prédictions sur l’évolution de la jurisprudence du plus haut tribunal américain. La consternation cauchemardesque des progressistes a fait écho à l’enthousiasme et à la satisfaction des conservateurs, persuadés qu’ils tiennent là la voix, aux deux sens du terme, qui va permettre d’inscrire le projet conservateur dans le marbre constitutionnel, un objectif qui leur échappe depuis les années 1960 et sur lequel les présidents Nixon, Reagan et Bush père et fils ont été mis en échec.

Trente et un ans après le rejet par le Sénat de la nomination de Robert Bork – étiage terminal de l’effort conservateur pour reconquérir la majorité à la Cour suprême –, le but était enfin atteint et on dressait déjà la liste des précédents détestés qui allaient être renversés par cette Cour qui possédait désormais une majorité conservatrice claire : Roe v. Wade, l’arrêt de 1973 qui constitutionnalise le droit d’une femme d’interrompre une grossesse avait déjà la tête sur le billot ; c’en était fini des programmes d’action positive (affirmative action) pour lutter contre les discriminations raciales et sexuelles ; le droit de propriété retrouverait sa primauté dans la hiérarchie des libertés, avec ces dommages collatéraux parfaitement acceptables que sont la protection de l’environnement ou des droits des salariés ; et puis les libertés religieuses seraient de nouveau au centre du contrat social américain, tandis que le Premier Amendement, dont l’interprétation stricte de sa clause de liberté d’expression avait déjà fait dire aux neuf sages dès 1978 que « l’argent, c’est du discours » (money is speech), permettrait à tous, personnes physiques comme morales, de dépenser sans compter et sans pla