Littérature

Le si sexiste universalisme littéraire français

Sociologue

Comment les auteures ont-elles été exclues de l’universalisme littéraire français ? Le fait sexiste est constitutif de la construction sociale de cette littérature. En clamant haut et fort, mais à tort, l’universalité du panthéon littéraire, on en naturalise « l’ordre inégalitaire ». Les processus bien réels de dévalorisation des écrits des femmes deviennent alors invisibles.

Dans un texte précédent pour AOC, je tachais de signaler que la formation historique de la littérature française – incluant les théories de la littérature, les critères d’appréciation du littéraire (et donc du non-littéraire), les instances et les académies consacrantes, le réseau de fabrication et de diffusion des œuvres ainsi que les œuvres elles-mêmes – était structurée par un imaginaire de la « race [1] ». Ce que Sarah Burnautzki a nommé, avec justesse, « les frontières racialisées de la littérature française [2] ». En cela, la prétention universelle des belles-lettres s’apparente à un régime de représentation victorieux, pourrais-je dire, dont la victoire a précisément résidé en sa capacité à enfouir jusqu’au déni le particularisme sur lequel il se fondait pourtant. En cela, l’universalisme littéraire français – à l’image de tout universel – semble indistinct du fait raciste.

Plus encore, l’universalisme littéraire français autorise le fait raciste car, ainsi, il s’autorise lui-même. Ou, dit d’une autre manière, il se dote de cette autorité d’ériger sa propre loi et de déterminer, pour son propre bénéfice, celles des autres sans eux, c’est-à-dire contre eux.

Dans ce second texte qui désormais augmente le premier, je souhaiterais préciser qu’au sein du champ littéraire français, aux rapports sociaux de race s’articulent des rapports sociaux de sexe, fondements de la division sexuelle de ce travail qu’est écrire et publier. Parce que s’y diffractent les forces du social, la littérature, champ de tensions perpétuelles entre le dicible et l’indicible, entre ceux qui disent et ceux qui sont dits, entre dire pour ne pas faire et ne pas dire pour faire, est aussi fortement le produit de la hiérarchie des sexes que la productrice de cette dernière. Ainsi, si je veux bien reconnaître à la littérature française un secret, le seul peut-être véritablement secret, lointain de tous les secrets dont on aime à la parer pour mieux se rendre aveugle à ce qu’elle est, ontolo


[1] Il ne s’agit pas de renvoyer ici à une quelconque réalité biologique de la « race » mais bien de porter attention à sa construction sociale.

[2] Sarah Burnautzki, Les frontières racialisées de la littérature française. Contrôle au facies et stratégies de passage, Honoré Champion, Paris, 2017.

[3] Véronique de Rudder, « La recherche sur la coexistence pluriethnique. Bilan, critiques et propositions », Espaces et sociétés, n° 64, p. 146.

[4] Rappelons que le code dit « Napoléon », promulgué le 21 mars 1804, instituait l’incapacité juridique de la femme mariée, alors considérée comme une mineure civile. Ainsi était-elle dans l’impossibilité de signer un contrat, de disposer d’un bien, de le gérer, de percevoir un salaire, ou encore de voyager sans son époux.

[5] Christine Planté, La petite sœur de Balzac. Essai sur la femme auteur. Lyon, Presses Universitaires de Lyon, p. 44.

[6] A ce propos, l’écrivain Jules Barbey d’Aurevilly (1808-1889) écrivait dans Les Œuvres et les hommes (1860) : « Les femmes qui écrivent ne sont plus des femmes. Ce sont des hommes du moins de prétention et manqué! Ce sont des bas bleus ». Pour une histoire de l’expression « bas bleus », se référer à l’article de Martine Reid (2010).« La couleur d’un bas ». In Andréa Del Lungo, Brigitte Louichon (eds). La littérature en bas bleus. Romancières sous la restauration. Paris, Editions Classiques Garnier.

[7] Jules Barbey d’Aurevilly, Les Oeuvres et les hommes, Pierre Glaudes, Claude Mayaux (eds.), Paris, Les Belles Lettres, 2006, [1878], p. 29.

[8] Ibid, p. 30.

 [9] Edmond et Jules de Goncourt, Journal, vol. I, René Ricatte (éd.), Paris, Robert Laffont, 1989 [1857], p. 295.

[10] Monique Wittig, La pensée straight. Le point de vue universel ou particulier.Paris, Balland, 2001, p. 112.

[11] Charles Ambroise,« Paradoxe de l’écrivain prolétarien », Sociétés contemporaines, n°44, 2001.

[12] Tzvetan Todorov, Les genres du discours. Paris, Seuil, 1978, p. 47.

[13] Colette Guillaumin, « Sur la not

Kaoutar Harchi

Sociologue, chercheure associée au Cerlis, Paris-Descartes

Mots-clés

Mémoire

Notes

[1] Il ne s’agit pas de renvoyer ici à une quelconque réalité biologique de la « race » mais bien de porter attention à sa construction sociale.

[2] Sarah Burnautzki, Les frontières racialisées de la littérature française. Contrôle au facies et stratégies de passage, Honoré Champion, Paris, 2017.

[3] Véronique de Rudder, « La recherche sur la coexistence pluriethnique. Bilan, critiques et propositions », Espaces et sociétés, n° 64, p. 146.

[4] Rappelons que le code dit « Napoléon », promulgué le 21 mars 1804, instituait l’incapacité juridique de la femme mariée, alors considérée comme une mineure civile. Ainsi était-elle dans l’impossibilité de signer un contrat, de disposer d’un bien, de le gérer, de percevoir un salaire, ou encore de voyager sans son époux.

[5] Christine Planté, La petite sœur de Balzac. Essai sur la femme auteur. Lyon, Presses Universitaires de Lyon, p. 44.

[6] A ce propos, l’écrivain Jules Barbey d’Aurevilly (1808-1889) écrivait dans Les Œuvres et les hommes (1860) : « Les femmes qui écrivent ne sont plus des femmes. Ce sont des hommes du moins de prétention et manqué! Ce sont des bas bleus ». Pour une histoire de l’expression « bas bleus », se référer à l’article de Martine Reid (2010).« La couleur d’un bas ». In Andréa Del Lungo, Brigitte Louichon (eds). La littérature en bas bleus. Romancières sous la restauration. Paris, Editions Classiques Garnier.

[7] Jules Barbey d’Aurevilly, Les Oeuvres et les hommes, Pierre Glaudes, Claude Mayaux (eds.), Paris, Les Belles Lettres, 2006, [1878], p. 29.

[8] Ibid, p. 30.

 [9] Edmond et Jules de Goncourt, Journal, vol. I, René Ricatte (éd.), Paris, Robert Laffont, 1989 [1857], p. 295.

[10] Monique Wittig, La pensée straight. Le point de vue universel ou particulier.Paris, Balland, 2001, p. 112.

[11] Charles Ambroise,« Paradoxe de l’écrivain prolétarien », Sociétés contemporaines, n°44, 2001.

[12] Tzvetan Todorov, Les genres du discours. Paris, Seuil, 1978, p. 47.

[13] Colette Guillaumin, « Sur la not