Rediffusion

Comment « l’universalisme républicain » sape la politique contre les discriminations

Sociologue

Vingt ans après le lancement par Martine Aubry d’une politique de lutte contre les discriminations raciales, force est de constater que la primauté accordée aux politiques d’intégration s’est opérée au détriment du combat contre les discriminations. Analyse du phénomène à travers l’exemple des Commissions Départementales d’Accès à la Citoyenneté (CODAC) qui témoigne, au nom d’un certain universalisme, de l’aveuglement face aux phénomènes de racialisation. Rediffusion d’hiver.

Le 21 octobre 2018, on n’a commémoré ni le discours prononcé vingt ans plus tôt par Martine Aubry, alors ministre de l’Emploi et de la Solidarité du gouvernement Jospin, ni le lancement de la politique contre les discriminations raciales [1] qu’il a rendu possible. En revenant sur les modalités choisies pour formuler cette question en France et les étapes diverses de mise en œuvre d’une action anti-discriminatoire, on voudrait montrer ici comment ce qui s’annonçait comme un vaste mouvement de reconnaissance a en fait pris la forme d’un non-lieu [2].

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Jusqu’à la fin des années 1990, la notion de discrimination raciale avait été en effet peu présente dans le dispositif politique et juridique français. La loi Pleven de 1972 avait marqué l’entrée dans le Code pénal français d’une condamnation de ce type de traitement. Mais elle le concevait comme une des manifestations possibles du racisme, sans qu’une distinction soit établie entre le type spécifique d’inégalité qu’il produit et les comportements racistes comme l’exclusion, l’insulte ou le crime, prioritairement visés par la loi. Très fortement marquée par le texte défendu depuis 1959 par la commission juridique du Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP), cette loi ne prévoyait pas, du reste, la création d’organes ad hoc chargés de mener à bien une action anti-discriminatoire.

Cette faible référence aux discriminations raciales dans la loi Pleven s’est traduite par un contentieux limité. Par exemple, sur trois cent quatre-vingts condamnations prononcées entre 1993 et 1997 pour actes racistes, trois seulement concernaient des cas de discriminations à l’emploi [3]. La subordination de cette question à celle de l’antiracisme a également pour conséquence de maintenir la confusion, une fois le phénomène des discriminations raciales rendu visible, voire de faire apparaître aux yeux de certains acteurs associatifs l’anti-discrimination comme une cause concurrente de l’antiracisme.

Des frontières internes traversent la société française et imposent des traitements inégaux entre citoyens que distingue non un statut juridique différent mais l’assignation à des formes diverses de racialisation.

Pour des raisons liées à la situation nationale et européenne [4], la question des discriminations raciales émerge réellement en France en 1998 et semble signaler un changement d’orientation. Par rapport à une politique construite jusqu’à cette date seulement en référence à l’intégration et à l’immigration, il s’agit en effet d’admettre que des frontières internes traversent la société française et imposent des traitements inégaux entre citoyens que distingue non un statut juridique différent mais l’assignation à des formes diverses de racialisation. Pour symbolique qu’elle soit, la reconnaissance de l’existence de discriminations « en raison de l’origine réelle ou supposée » par le rapport du Haut Comité à l’Intégration (HCI) de 1998 marque ou explicite ce changement affectant la formulation de ce qui avait été jusque-là conçu comme « la question immigrée ».

À la suite de la remise de ce rapport au Premier ministre, Lionel Jospin, Martine Aubry présente donc le 21 octobre 1998 devant le Conseil des ministres une série de propositions visant à instaurer une politique contre les discriminations raciales. S’ouvre alors, pendant deux ans, une période de construction du problème public où les principaux instruments de lutte sont institués.

Par la circulaire du 18 janvier 1999, le ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, demande que des Commissions Départementales d’Accès à la Citoyenneté (CODAC) soient placées dans les préfectures. Elles réunissent les représentants de l’État et des administrations publiques, des élus et des militants associatifs, des employeurs et des syndicalistes, notamment pour veiller « aux conditions d’un égal accès à l’emploi des jeunes issus de l’immigration sans autre distinction que celle fondée sur le mérite [5] » et éventuellement se saisir « des pratiques de discrimination effective ».

Conçu comme un groupement d’intérêt public, le Groupe d’Étude des Discriminations (GED) est créé le 15 avril 1999. Il regroupe neuf ministères, le Fonds d’Action Sociale (FAS), les partenaires sociaux et les principales associations de défense des droits de l’homme et de lutte contre le racisme. Dirigé par Philippe Bataille dont l’ouvrage [6] a servi de révélateur, son conseil d’orientation rassemble plusieurs chercheurs en sciences sociales qui ont contribué à l’émergence d’une question des discriminations raciales. Le but du GED est alors de dresser un bilan sur la situation dans différents domaines et de déterminer les orientations concrètes à suivre.

Le 11 mai 1999, l’État et les partenaires sociaux se réunissent. Ils rendent publique une « déclaration de Grenelle sur les discriminations raciales dans le monde du travail » constituée de cinq mesures pour les combattre. Enfin, la convocation des Assises nationales de la citoyenneté, le 18 mars 2000, marque le point culminant de ce vaste mouvement de reconnaissance politique.

La victime n’est plus tenue de prouver qu’elle a subi une discrimination en s’appuyant sur des preuves et des témoignages souvent difficiles à trouver.

À la suite de cela, plusieurs mesures, qui intègrent l’objectif de lutte contre les discriminations, sont adoptées par les services de l’État. La loi du 16 novembre 2001 donne le cadre général de la lutte contre les discriminations en mettant en conformité le droit français avec les deux directives européennes de juin et novembre 2000 [7]. Elle modifie plusieurs dispositions du Code du travail, du Code pénal, du Code de la Sécurité sociale et de la loi du 3 juillet 1983 sur le statut des fonctionnaires. En droit du travail, cette loi renforce la protection du salarié. Elle porte sur l’embauche, les sanctions et les licenciements, mais aussi sur l’accès aux stages et aux formations. Elle permet d’étendre la définition des mesures discriminatoires en y introduisant la notion de discrimination indirecte, c’est-à-dire celle qui procède d’une pratique ou d’une mesure en apparence neutre et vierge de toute illégitimité. Elle prévoit de protéger les témoins, s’ils sont salariés, contre tout licenciement ou sanction.

La liste des critères prohibés est étendue à l’orientation sexuelle, l’âge, l’apparence physique et le patronyme. La loi procède en outre à l’aménagement de la charge de la preuve. Les plaintes pour discrimination ne passent plus au pénal, mais au civil. La victime n’est donc plus tenue de prouver qu’elle a subi une discrimination en s’appuyant sur des preuves et des témoignages souvent difficiles à trouver. C’est plutôt à l’accusé qu’il incombe de prouver qu’il n’a pas discriminé. La loi du 16 novembre 2001 permet enfin de renforcer les moyens d’action avec la possibilité pour les syndicats et les associations d’agir en justice et l’octroi de pouvoirs d’enquête élargis à l’inspection du travail.

Pourtant, cette période de reconnaissance se caractérise paradoxalement par l’occultation persistante de ce qui est censé en faire l’objet. Les processus de racialisation à l’œuvre dans la société sont en effet passés sous silence. Si certains intitulés désignent les « discriminations » ils évitent cependant de les qualifier. Dans les textes du HCI ou dans certaines interventions de Martine Aubry, le choix est fait de recourir à des expressions détournées comme celle de « discrimination en raison de l’origine réelle ou supposée ». Dans les circulaires ou les organes qui dépendent du ministère de l’Intérieur, c’est plutôt le vocabulaire de la citoyenneté qui prévaut. Le choix de ce lexique ramène alors l’analyse du problème à la question de l’immigration. Il laisse entendre que ces formes d’inégalités s’analysent à l’aune de la seule différence de statut entre étrangers et nationaux et que l’acquisition de la nationalité française est le principal instrument de réalisation de l’égalité.

Cette situation de flou lexical et conceptuel apparaît également dans le discours que le Premier ministre prononce en conclusion des Assises nationales de la citoyenneté. Il annonce des mesures qui visent à rendre effective une politique de réparation comme la création d’un service d’écoute publique gratuit, le 114, dont le but est de recueillir les témoignages des victimes et de travailler en collaboration avec les CODAC, ou la transformation du GED en Groupe d’Études et de Lutte contre les Discriminations (GELD) chargé notamment d’administrer le 114. Néanmoins, le discours de Lionel Jospin se réfère tour à tour aux discriminations raciales, au racisme et à la xénophobie sans réellement distinguer ces différents phénomènes, donnant une fois de plus l’impression que le problème concerne uniquement des personnes étrangères ou immigrées. Les hésitations qui touchent la formulation d’un problème des discriminations raciales ont également des conséquences sur le mode de caractérisation des personnes susceptibles d’en être victimes. Celles-ci se voient désignées par des expressions imprécises comme « nées » ou « issues » de l’immigration, « deuxième » voire « troisième » génération ou encore « jeunes ».

Les minorités raciales doivent sans cesse donner des gages de leur adhésion à l’idéologie républicaine et sont constamment pris entre leur volonté d’agir contre les discriminations et leur vœu de rester conformes à l’idéal d’universalisme abstrait.

Que les logiques de racialisation à l’œuvre dans la société française ne soient pas directement assumées se manifeste aussi dans la posture de certains responsables de la lutte contre les discriminations raciales. Régulièrement soumis à des formes d’assignation racialisante, les « républicains minoritaires » voient ainsi leurs différences particularisées par leurs collègues, membres du groupe majoritaire. Dans ce contexte, ils doivent alors sans cesse donner des gages de leur adhésion à l’idéologie républicaine et sont constamment pris entre leur volonté d’agir contre les discriminations et leur vœu de rester conformes à l’idéal d’universalisme abstrait. Aussi expriment-ils par exemple leur opposition à l’instauration de mesures anti-discriminatoires générales ciblant des groupes au nom du principe d’égalité formelle et de l’exigence d’universalisme abstrait. Mais, ils acceptent néanmoins d’avoir été spécifiquement choisis à certains postes pour donner un gage de… colorblindness.

Cette reconnaissance paradoxale qui ne cible ni ne désigne les processus de racialisation est également renforcée par la manière dont les pouvoirs publics ont pensé la lutte contre les discriminations raciales comme l’instrument d’un renouvellement du modèle français d’intégration.

Quand on adopte une lecture intégrationniste, on considère que c’est aux individus de s’adapter au système. Cela amène à concevoir leurs différences comme le vecteur principiel d’inégalité et, par conséquent, à chercher à les effacer progressivement. Les différences sont certes tolérées, mais elles sont appelées à se résorber et les étrangers ou les immigrés, qui sont les seules populations ciblées par la promotion de l’intégration, sont censés faire l’effort de s’adapter à la société qui les accueille.

En revanche, l’anti-discrimination a pour enjeu d’accroître l’effectivité de la norme d’égalité, c’est-à-dire de lui donner une traduction réelle, notamment en corrigeant les traitements défavorables subis par certains malgré l’exigence d’égalité formelle. La responsabilité de l’inégalité en incombe donc à la société dans son ensemble. Il s’agit dans ce cas de considérer les propriétés du système et non celles des individus. D’ailleurs, dans ce cas, les mesures de réparation ne visent pas des individus séparés mais bien plutôt les membres de groupes minoritaires, qui sont définis par leur expérience commune d’un traitement inégalitaire. Penser la lutte contre les discriminations raciales de manière ancillaire à la promotion de l’intégration, c’était donc déjà prendre le risque de la dénaturer.

Cette tension entre les deux grilles de lecture se manifeste alors pleinement dès lors que se pose la question des mesures concrètes à prendre pour contrer les discriminations raciales. Tout d’abord, parce que leur superposition a rendu possible le maintien à certains postes décisionnaires de personnes en fait opposées à l’adoption d’une politique anti-discriminatoire. Formées à la promotion de l’intégration, elles craignent que l’introduction d’un nouveau cadre de référence ne remette en cause leurs savoir-faire et ne rende caduque l’expertise qu’elles ont acquise en matière d’administration de l’immigration.

Au-delà de l’organisation d’événements de sensibilisation, qui paradoxalement passent sous silence la racialisation à l’œuvre, les seules réalisations relèvent en fait de la politique d’intégration.

Cela apparaît notamment dans la mise en sommeil du rapport rédigé par Jean-Michel Belorgey [8], qui s’explique sans doute par les positions qu’y défend le conseiller d’État (critique du FAS et de la Direction des populations et des migrations, création d’une autorité indépendante et dotée de pouvoirs contraignants en matière de lutte contre les discriminations raciales, double nécessité d’appréhender de manière consciente la race entendue comme construction sociale et de renoncer à une approche individualisée de la victime de discrimination pour analyser l’assignation d’un groupe à une position minoritaire). Cela est également visible dans les pratiques mises en œuvre dans les CODAC, même les plus actives, comme celle du département où j’ai conduit mon enquête de terrain. Au-delà de l’organisation d’événements de sensibilisation, qui paradoxalement passent sous silence la racialisation à l’œuvre dans les phénomènes décrits, les seules réalisations relèvent en fait de la politique d’intégration et de l’administration de l’immigration. En témoignent l’instauration de cérémonies de remise des décrets de naturalisation ou le projet de publier une plaquette sur les droits des nouveaux naturalisés.

Ensuite, parce que la prégnance d’une interprétation intégrationniste permet le plus souvent aux membres de ces commissions de justifier leur refus de caractériser certains actes comme relevant d’une discrimination raciale. Le principal responsable préfectoral chargé de cette CODAC m’expliquait ainsi que le fait de refuser l’accès aux cérémonies de naturalisation à des femmes voilées n’était pas discriminatoire. Selon lui, une plainte pour discriminations raciales [9] n’était recevable que de la part d’une personne qui serait complètement intégrée. Or le voile porté par ces femmes manifestait, à ses yeux, leur défaut d’intégration.

Cette situation d’enfouissement de la question raciale s’impose plus fortement encore à partir de l’année 2005, lorsque s’ouvre la phase d’« universalisation de l’anti-discrimination [10] ». Après, le traumatisme laissé par l’arrivée du FN au second tour de l’élection présidentielle de 2002, la relance de la lutte contre les discriminations se fait dans le cadre de la « refondation du pacte républicain ». Cette nouvelle dynamique opère une hiérarchisation et une despécification des formes de discrimination qui se manifeste principalement par l’idée selon laquelle se focaliser sur les discriminations raciales reviendrait à exercer une discrimination à l’égard des victimes d’autres types de discrimination. La notion de lutte contre les discriminations est rapidement remplacée par celles d’égalité des chances (pensée comme plus positive) et celle de diversité (conçue comme plus optimiste et surtout moins conflictuelle puisqu’elle désigne un au-delà de la discrimination).

Les CODAC sont, quant à elles, remplacées par les Commissions pour la Promotion de l’Égalité des Chances et de la Citoyenneté (COPEC) dont le domaine de compétence est ouvert à toutes les formes de discrimination. Cette dynamique d’extension de l’anti-discrimination peut certes paraître conforme à une lecture juridique qui proposerait une analyse de la discrimination dans son ensemble, indépendamment des facteurs sociaux et historiques spécifiques de production de ces différents types d’inégalité. L’observation des pratiques au sein de la COPEC laisse pourtant apparaître deux écueils : l’un concernant la reconnaissance des processus de racialisation, l’autre touchant justement à la place du droit en général dans l’anti-discrimination.

Les présupposés universalistes du système républicain empêchent un débat sur la constitution d’un noyau de « groupes de référence » considérés comme concernés au premier chef par l’anti-discrimination.

D’abord, dans un contexte de résistance très forte à l’idée que la société française puisse produire des hiérarchies sur une mode racial, ouvrir la mission des COPEC à toutes les formes de discriminations a offert, dans les faits, l’occasion de ne plus parler de la question raciale et d’exclure les victimes de ce type de traitement du périmètre de la plainte recevable ou audible. Cette logique d’extension a également rendu difficile une remise en cause des présupposés universalistes du système républicain en empêchant un débat sur la constitution d’un noyau de « groupes de référence » considérés comme concernés au premier chef par l’anti-discrimination.

Ensuite, la référence à une conception juridique de la discrimination ne se traduit pas pour autant par un recours renforcé au droit de la part de certains acteurs de l’anti-discrimination. C’est au contraire une absence de conscience de l’effectivité du droit anti-discriminatoire qui s’impose dans les pratiques observées au sein des COPEC. Dans la plupart des cas, les membres de ces commissions paraissent ne pas se représenter le pouvoir contraignant ou coercitif du droit ant-idiscriminatoire. Ils considèrent plutôt qu’il suffit de rappeler les droits existants en laissant clairement entendre que c’est aux individus d’identifier le tort qu’ils ont subi, de saisir les autorités compétentes et de prendre en charge la mise en acte du droit. D’où une politique du constat qui place l’anti-discrimination en-deçà du cadre juridique censé lui donner forme. Les responsables des COPEC sont ainsi restés liés à ce que Kristin Bumiller [11] appelle « le modèle de protection légale » qui postule l’efficacité de la loi sans poser la question de la manière dont elle peut être rendue effective et traduire plus concrètement l’exigence d’égalité. Ainsi, dans cette dernière phase, la référence à une conception juridique de la discrimination a davantage servi à dépolitiser l’anti-discrimination qu’à imposer le droit, évacuant de plus belle la question des logiques de production des inégalités et de la constitution de groupes minorisés dans le contexte républicain.

Plus qu’à reconnaître l’existence des discriminations raciales dans la société française, le mouvement initié il y a tout juste une vingtaine d’années a donc principalement mis en lumière la force d’occultation par les pouvoirs publics des processus de racialisation et le maintien d’une croyance en la réalisation effective de la norme de colorblindness. De ce point de vue, il a rendu criant le statut de « secret public [12] » que revêt la question raciale dans le contexte républicain puisque, censé favoriser une reconnaissance publique du problème, il a plutôt contribué à l’enfouir. Aujourd’hui encore, ce qui est présenté comme une manière de résoudre la question s’apparente en fait à son évitement, comme l’a montré le débat récent sur la suppression du terme « race » de la Constitution [13].

Espérons que l’émergence d’une revendication politique de la part de celles et ceux qui font l’expérience des assignations racialisantes parvienne enfin à transformer l’usage fait de la norme de colorblindness, de croyance en une société réellement aveugle aux différences au principe d’inquiétude politique déjouant le silence proverbial qui recouvre encore les processus de racialisation.

 

NDLR : Sarah Mazouz a abordé ces questions dans La République et ses autres. Politiques de l’altérité dans la France des années 2000 paru en 2017 aux éditions de l’ENS.


[1] J’entends par « racial » un rapport hiérarchique construit socialement, au même titre que la classe et le genre par exemple et avec lesquels il se trouve imbriqué de manière plurielle selon les contextes politiques, historiques et sociaux. Par ailleurs, pour la clarté de l’exposé, je parlerai tout au long de ce texte de « discriminations raciales » bien que l’un des enjeux ait été, comme on le verra, la caractérisation de ce type spécifique d’inégalité.

[2] Cet article s’appuie sur une enquête ethnographique réalisée dans un département de la région parisienne de 2004 à 2009. Elle a porté principalement sur les dispositifs étatiques placés au sein des préfectures. Certaines des analyses qui suivent auraient sans doute été pour une part différentes si l’étude avait porté sur le travail juridique au sein de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité (HALDE) ou sur le Défenseur des droits.

[3] Robert C. Lieberman, « A Tale of Two Countries : The Politics of Color Blindness in France and the United States », in Herrick Chapman et Laura Frader (dir.), Race in France : Interdisciplinary Perspectives on the Politcs of Differences, New York, Bergahm Book, 2004, p. 189-216.

[4] Plusieurs éléments de la politique nationale expliquent cela: la percée du Front national aux élections régionales de 1998 ; les alliances lors de ces élections entre la droite de gouvernement et l’extrême-droite ; la prise de conscience plus accrue du « problème des banlieues » ; la mise en pratique du programme « Nouvelle Gauche », avec notamment l’adoption de la loi sur la parité et celle sur le PACS, et peut-être aussi la rivalité existant au sein du gouvernement dirigé par Lionel Jospin entre Martine Aubry et Jean-Pierre Chevènement. L’année 1997 a été déclarée « Année européenne contre le racisme ». En 1998, l’élection de Jorge Haïder, leader de l’extrême-droite autrichienne, à la tête du gouvernement redouble au niveau européen le traumatisme créé par la percée du FN aux élections régionales.

[5] Circulaire du ministre de l’Intérieur aux préfets du 18 janvier 1999, demandant l’installation des CODAC.

[6] Le Racisme au travail, Paris, La Découverte, 1997.

[7] Directive 2000/43/CE du 28 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique et directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. Valérie Guiraudon, « Construire une politique européenne de lutte contre les discriminations : l’histoire de la directive “race” », Sociétés contemporaines, 53, 2004, p. 11-32.

[8] Jean-Michel Belorgey, Lutter contre les discriminations, Rapport pour Mme la ministre de l’Emploi et de la Solidarité, Paris, 1999.

[9] Sur le choix d’inclure la question de l’islam dans l’analyse des processus de racialisation, je me permets de renvoyer à Sarah Mazouz, La République et ses autres. Politiques de l’altérité dans la France des années 2000, Lyon, ENS Éditions, 2017, notamment p. 16-18.

[10] Vincent-Arnaud Chappe, « Le cadrage juridique, une ressource politique ? La création de la HALDE comme solution au problème de l’effectivité des normes anti-discrimination (1998-2005) », Politix, 94, 2011, notamment p. 119-122.

[11] « Victims in the Shadow of the Law: A Critique of the Model of Legal Protection », Signs, Vol. 12, N°. 3, 1987, p. 421-439.

[12] Michaël Taussig, Defacement. Public Secrecy and the Labor of the Negative, Stanford, Stanford University Press, 1999.

[13] Le 12 juillet 2018, les députés ont voté la suppression du mot « race » de la constitution. L’article 1er stipule désormais que la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de sexe, d’origine ou de religion » au lieu de « sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Le texte de la modification n’a pour lors pas encore été modifié, mais le vide qui découlerait de cette transformation risque de rendre plus difficile encore le combat contre le racisme et les discriminations raciales.

Sarah Mazouz

Sociologue, Chargée de recherche au CNRS

J’étais une Grande Gueule

Par

En dix ans, radios et télévisions ont élargi le champ de ce spectacle aussi insolite qu’insensé : remplir le vide avec du néant. Les chaînes d’info en continu déversent en permanence les commentaires avisés... lire plus

Notes

[1] J’entends par « racial » un rapport hiérarchique construit socialement, au même titre que la classe et le genre par exemple et avec lesquels il se trouve imbriqué de manière plurielle selon les contextes politiques, historiques et sociaux. Par ailleurs, pour la clarté de l’exposé, je parlerai tout au long de ce texte de « discriminations raciales » bien que l’un des enjeux ait été, comme on le verra, la caractérisation de ce type spécifique d’inégalité.

[2] Cet article s’appuie sur une enquête ethnographique réalisée dans un département de la région parisienne de 2004 à 2009. Elle a porté principalement sur les dispositifs étatiques placés au sein des préfectures. Certaines des analyses qui suivent auraient sans doute été pour une part différentes si l’étude avait porté sur le travail juridique au sein de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité (HALDE) ou sur le Défenseur des droits.

[3] Robert C. Lieberman, « A Tale of Two Countries : The Politics of Color Blindness in France and the United States », in Herrick Chapman et Laura Frader (dir.), Race in France : Interdisciplinary Perspectives on the Politcs of Differences, New York, Bergahm Book, 2004, p. 189-216.

[4] Plusieurs éléments de la politique nationale expliquent cela: la percée du Front national aux élections régionales de 1998 ; les alliances lors de ces élections entre la droite de gouvernement et l’extrême-droite ; la prise de conscience plus accrue du « problème des banlieues » ; la mise en pratique du programme « Nouvelle Gauche », avec notamment l’adoption de la loi sur la parité et celle sur le PACS, et peut-être aussi la rivalité existant au sein du gouvernement dirigé par Lionel Jospin entre Martine Aubry et Jean-Pierre Chevènement. L’année 1997 a été déclarée « Année européenne contre le racisme ». En 1998, l’élection de Jorge Haïder, leader de l’extrême-droite autrichienne, à la tête du gouvernement redouble au niveau européen le traumatisme créé par la percée du FN aux élections régionales.

[5] Circulaire du ministre de l’Intérieur aux préfets du 18 janvier 1999, demandant l’installation des CODAC.

[6] Le Racisme au travail, Paris, La Découverte, 1997.

[7] Directive 2000/43/CE du 28 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique et directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. Valérie Guiraudon, « Construire une politique européenne de lutte contre les discriminations : l’histoire de la directive “race” », Sociétés contemporaines, 53, 2004, p. 11-32.

[8] Jean-Michel Belorgey, Lutter contre les discriminations, Rapport pour Mme la ministre de l’Emploi et de la Solidarité, Paris, 1999.

[9] Sur le choix d’inclure la question de l’islam dans l’analyse des processus de racialisation, je me permets de renvoyer à Sarah Mazouz, La République et ses autres. Politiques de l’altérité dans la France des années 2000, Lyon, ENS Éditions, 2017, notamment p. 16-18.

[10] Vincent-Arnaud Chappe, « Le cadrage juridique, une ressource politique ? La création de la HALDE comme solution au problème de l’effectivité des normes anti-discrimination (1998-2005) », Politix, 94, 2011, notamment p. 119-122.

[11] « Victims in the Shadow of the Law: A Critique of the Model of Legal Protection », Signs, Vol. 12, N°. 3, 1987, p. 421-439.

[12] Michaël Taussig, Defacement. Public Secrecy and the Labor of the Negative, Stanford, Stanford University Press, 1999.

[13] Le 12 juillet 2018, les députés ont voté la suppression du mot « race » de la constitution. L’article 1er stipule désormais que la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de sexe, d’origine ou de religion » au lieu de « sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Le texte de la modification n’a pour lors pas encore été modifié, mais le vide qui découlerait de cette transformation risque de rendre plus difficile encore le combat contre le racisme et les discriminations raciales.